La comédie atomique by Yves Lenoir

Auteur:Yves Lenoir [Lenoir, Yves]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: LA DECOUVERTE
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

L’organisation des instances internationales de la radioprotection

Les vues héritées d’avant guerre et des pratiques du MP constituent ces métarègles. Elles s’imposeront toujours dans les situations où les recommandations et limites chiffrées sont techniquement et/ou économiquement inapplicables : seules les doses qui sont suivies d’effets cliniques sont réellement dangereuses et, d’une façon ou d’une autre, l’organisme se remet d’avoir été exposé à des doses inférieures. Le seul véritable acquis à l’issue de la controverse : l’hypothèse de Muller présentée dans son discours de réception du prix Nobel, à savoir que les cancers pourraient avoir des mutations somatiques pour origine, est maintenant admise. On étend donc au risque de cancer le modèle linéaire sans seuil déduit des études des effets génétiques des radiations sur des animaux. Ce modèle orienté cancer est paramétré « à la louche » à partir des données collectées sur les survivants exposés au pika à Hiroshima et Nagasaki. Les coefficients sont si petits et si incertains que la quasi-totalité des cancers radio-induits ne pourront pas être distingués, et par conséquent désignés20, dans la masse de ceux ayant d’autres causes possibles.

De surcroît, les « faibles doses » n’auraient d’effets que tératogènes, génétiques et carcinogènes. Car la « science » en ce domaine obéit à une philosophie de la connaissance très particulière : ce qu’on ne sait expliquer – l’effet de ces faibles doses sur les cellules hors leurs chromosomes et sur les fonctions organiques – n’existe pas21… Tous les dénis sont désormais possibles, et donc souhaitables, atome oblige. L’implication « génétique » de l’OMS n’a d’ailleurs pas duré. On ne trouve qu’un rapport (no 16622) traitant des effets génétiques des radiations dans la base documentaire TRS qui comprend un millier de titres. L’étude, remise le 2 août 1958, avait été demandée par le groupe réuni à Copenhague en 1956, en vue d’évaluer les effets génétiques de la radioactivité naturelle selon son intensité. D’autres devaient suivre, mais on en resta là…

La victoire des cliniciens s’est aussi traduite dans la constitution des délégations nationales à l’UNSCEAR (créé le 3 décembre 1955) et dans les cooptations de la CIPR, dont celles des principaux acteurs de cette histoire, durant de longues années (voir tableau ci-après). On constate que nombre d’entre eux cumulent la délégation à l’UNSCEAR et l’appartenance à la CIPR – à l’exception de Taylor (non spécialiste des effets sanitaires des radiations), de Muller et Neel (incompatibilité ?), de Tubiana (très occupé en France) et de Morgan. Cette tradition de cumul dans deux organisations de niveaux hiérarchiques différents – l’UNSCEAR dit la science et la CIPR s’en inspire pour calibrer ses recommandations et leurs règles d’application – interdit toute remise en cause de modèles ou de règles dont l’expérience d’un désastre radioactif révélerait l’inadaptation. Les dénis de la cause « exposition à la radioactivité » de la plupart des séquelles sanitaires de Tchernobyl et Fukushima trouvent là le terreau où prospérer, comme l’illustration grossière d’où peut mener l’enlisement collectif dans un conflit d’intérêts.

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