La Belle rouge by Anne Loyer

Auteur:Anne Loyer
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Alice Jeunesse
Publié: 2015-05-15T00:00:00+00:00

13

Assise sur la cuvette, marje essaie de rassembler ses idées. Ça lui fait du bien, un peu de solitude après ces heures passées avec Kader. Elle souffle. Ça fait beaucoup à encaisser, cette présence, ce rappel lancinant d’un passé qu’elle tente d’oublier tous les jours. Pourtant, elle n’a pas envie de le lâcher en pleine nature, ce gosse. Pas envie de le voir filer. D’ailleurs, il ne faudrait pas qu’il en profite pour se faire la malle pendant qu’elle est sur le trône. Elle termine rapidement, remonte son pantalon, tire la chasse, passe ses mains sous l’eau, les essuie sur ses cuisses et file vers la salle de resto. Le routier où ils se sont arrêtés, elle le connaît bien. Chez Marceline, qu’il s’appelle. Et Marceline, c’est vraiment une pro de la bouffe. Ses plats mijotés et copieux font le bonheur des ventres creux. Marje sort un peu trop vite des toilettes. La porte fait un grand chlang dans son dos et ça fait sursauter les convives. Elle ne remarque même pas les visages surpris qui se tournent vers elle. Celui qu’elle veut voir, c’est Kader. Et elle le voit. Il est assis sur la banquette du fond, les yeux plongés dans le menu ouvert devant lui. Elle le rejoint en quelques foulées nerveuses et, en s’asseyant, lui arrache la carte des mains.

— Pas besoin de regarder ce truc. Chez Marceline, on fait confiance à la cuisinière et on prend le plat du jour sans faire d’histoires.

— OK, répond Kader dans un murmure.

Il n’a pas très envie de résister de toute façon. Il a tellement faim qu’il mangerait un orang-outan s’il pouvait.

— Bien. Tu vas voir, ici, c’est la générosité qui prime. Pas de nouvelle cuisine qui tienne ou de chichi pour faire joli. Du qui tient au corps et aux fesses. Du plein la bouche, comme on aime !

— Si vous le dites…

Marje étend ses jambes sous la table et étire ses bras au-dessus de sa tête, sur laquelle ses cheveux semblent de plus en plus emmêlés.

— Ça fait du bien de se poser un peu, non. De se dégourdir les jambes.

— Aller du camion au resto… C’est ça, se dégourdir les jambes, pour vous ?

— Ben oui, sortir un peu, voir du monde… Ça ne te plaît pas ? Me dis pas que tu es aussi sauvage que moi ! À ton âge, c’est un peu tôt pour se la jouer ermite.

— Non, mais j’aime bien marcher. Vraiment me dégourdir les jambes quoi, pas faire cinq pas et me vautrer sur la banquette d’un resto crasseux.

— Sympa pour le crasseux. Moi qui voulais t’inviter pour fêter notre rencontre…

— Je vois pas trop ce qu’il y a à fêter, mais je suis pas contre l’invit’.

— C’est ce que j’avais compris, oui.

Marje est vexée. Il n’a vraiment pas de manières, ce gosse. Heureusement, Marceline débarque avec son sourire XXL.

— Marje ! Quel plaisir ! Et tu as de la compagnie à ce que je vois.

— Mouais… c’est Kader. Il faisait de l’auto-stop.

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