Intimités by Katie Kitamura

Intimités by Katie Kitamura

Auteur:Katie Kitamura [Kitamura, Katie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature américaine
Éditeur: Stock
Publié: 2023-02-01T08:01:39+00:00


10

Il y eut encore plus de monde que d’habitude au vernissage de Jana au Mauritshuis, peut-être à cause de la thématique de l’exposition, à la fois ironique et sérieuse. Jana avait souvent évoqué la pression qui était mise pour augmenter les chiffres de fréquentation, renouveler la présentation des collections permanentes afin d’attirer un public plus jeune et plus nombreux.

C’est avec cette consigne en tête que Jana avait conçu l’exposition Slow Food, la première du musée consacrée à la nourriture dans les natures mortes. Jana avoua que le concept et surtout le titre relevaient plutôt du gimmick, très loin des deux premières expositions qu’elle avait montées. Mais elle insista pour dire qu’elle trouvait l’idée excellente. C’était un thème récurrent de la peinture de l’âge d’or, un genre bien déterminé, dit-elle, même si des titres comme Nature morte avec fromages, amandes et bretzels font vraiment penser à une sculpture de Jeff Koons. Je suppose qu’en soi, c’est intéressant. Il y aurait beaucoup à dire sur la classe, la consommation et la culture de l’étalage en public.

J’observai les gens dans le hall du musée, portant des vêtements de grands couturiers et jouant avec leur smartphone de manière ostentatoire. Ils buvaient leur vin autour du buste de Johan Maurits, le fondateur du musée, qui avait fait fortune grâce au commerce transatlantique d’esclaves et la conquête de la Nouvelle-Hollande ; Jana m’avait raconté l’histoire lors d’une précédente visite. Elle aurait aimé que ce buste soit déboulonné, non seulement parce qu’il célébrait un marchand d’esclaves et un colonialiste, mais aussi parce que ce n’était pas une œuvre de qualité. Je ne pouvais qu’être d’accord, Maurits avait l’air particulièrement pompeux dans ce portrait exécuté par Bartholomeus Effers avec ses bajoues, ses lèvres pincées et son habit surchargé. Il regardait dans le vide, une main sur le torse. Le buste avait beau être entouré d’invités, personne ne semblait lui prêter attention, personne n’envisageait ce pan d’histoire pourtant bien présent. Je vis un homme en costume bâiller et effleurer la statue avant de se redresser paresseusement.

Je montai à l’étage où je vis Jana à l’autre bout de la galerie en pleine discussion avec deux femmes à la coiffure parfaite, toutes les deux en tailleur et talons hauts, comme si elles arrivaient directement du bureau. Jana leur montrait beaucoup d’égards, semblant suggérer qu’il s’agissait de mécènes, acquiesçait avec enthousiasme, mais son sourire était faux et figé. Ne voulant pas les interrompre, je me rendis dans la salle adjacente qui accueillait la collection permanente. Elle était déserte et je m’y promenai sans être dérangée, le bruit de la foule faiblissant au fur à mesure de mon éloignement.

Les salles du Mauritshuis étaient de dimensions modestes, ces espaces avaient quelque chose de domestique comparés à ceux d’autres musées, si immenses qu’on croirait qu’ils cherchent à imposer le sublime aux visiteurs. Je préférais l’intimité de ces salles, mieux adaptée aux tableaux, non seulement à cause de la taille des œuvres – certaines n’étaient pas plus grandes qu’une feuille A4, le genre de tableau qu’on a envie de voir de près, dont on ne peut profiter de loin – mais aussi à cause du sujet.



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