Instructions pour sauver le monde by Rosa Montero

Auteur:Rosa Montero [Montero, Rosa]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature espagnole
ISBN: 9782864249825
Google: -Atwte1_wuAC
Éditeur: Métailié
Publié: 2012-01-08T23:00:00+00:00

Quand Fatma se réveilla, il faisait déjà très sombre dehors. Elle alluma la lampe de la table de chevet et regarda sa montre : sept heures moins le quart du soir. Elle tendit la main et sortit la petite boîte en bambou qu’elle cachait sous son lit. Elle souleva le couvercle en cannage et le lézard fit un tour sur lui-même, appuya ses pattes sur le rebord de la boîte et la regarda avec des yeux intenses. C’était sa façon de saluer.

Fatma caressa doucement le reptile et le déposa sur l’oreiller ; puis elle s’étira entre les draps avec une joie voluptueuse. Il était un peu tard, mais la nuit d’avant Draco l’avait envoyée à une fête privée et elle avait fini à onze heures du matin. Elle avait le droit de profiter d’un peu de repos. Vanessa, sa camarade de chambre, était déjà partie. Fatma avait donc de la chance en ce moment. Fatma était comme qui dirait fortunée. Elle avait du temps pour elle-même dans la solitude. Elle avait Bigga à ses côtés, sain et sauf. Elle avait un lit bien chaud au matelas mou et aux draps doux. Personne n’allait la tuer, ou du moins ce n’était pas probable. Il n’était pas non plus probable qu’on lui fasse du mal au cours des prochaines heures. Elle était bien nourrie, et là, dès qu’elle se lèverait, elle irait à la cuisine se préparer un fantastique petit-déjeuner Elle pouvait manger tout ce qu’elle voulait. Des choses très bonnes jusqu’à en être gavée. Elle s’étira de nouveau, en s’enivrant du plaisir de sentir son corps, ce corps en bonne santé et jeune et fort et entier. Elle tendit son bras droit au-dessus du rabat : oui, entier jusqu’à la pointe même de ses mains. Elle sortit une jambe de sous le drap et la tendit dans l’air : entière jusqu’au talon et aux ongles rosés de son pied. Elle allait maintenant se lever, aller jusqu’à la salle de bain et prendre une douche bien chaude avec un savon liquide qui sentait la mandarine. La vie avait des choses merveilleuses.

Elle entendit un bruit de pas dans le couloir et, prévoyante, remit Bigga dans sa boîte. Les chambres des pupilles se trouvaient dans la partie arrière du Cachito et n’étaient pas mal, Fatma les trouvait plus que suffisantes. Mais elles n’avaient pas de serrure. Il n’y avait pas moyen de s’enfermer au Cachito, ni dans les dortoirs ni dans la salle de bain collective. Le pire était qu’à n’importe quel moment le chef ou l’un de ses chiens pouvait entrer. Ce manque d’intimité lui était plus insupportable que d’avoir à coucher de temps en temps avec Draco. Coucher avec le chef était une chose normale, enfin, c’était comme ça, et puis Fatma savait se retirer à l’intérieur d’elle-même quand elle le faisait, elle avait appris à se protéger bien des années auparavant et à s’enfermer dans le dernier recoin de sa tête. Là, très loin de son corps, elle pensait à de belles choses.

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