Homo Sovieticus by Alexandre Zinoviev

Auteur:Alexandre Zinoviev
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2021-05-19T00:00:00+00:00

LA FORMULE DES CHACALS

J’ai été ramené à la Pension par un type parti pour un voyage touristique en Europe il y a une dizaine d’années et qui n’est jamais revenu chez lui. Il m’a parlé de Immigration avec un mépris affiché. Voici un fragment de ses propos.

— Nous débarquons ici avec l’idée bien ancrée qu’en raison des souffrances que nous aurions endurées, nous mériterions d’être bien traités, et que l’Occident se devrait de nous aider. Certains ont souffert, soit. Mais pourquoi mériter ? Qui a le devoir de payer pour des souffrances, même si elles sont effectives ? Et pour les souffrances de qui ? L’Occident n’a aucun devoir envers nous. Il commet une grande stupidité en nous accueillant et en nous donnant la possibilité de vivre. Rien que pour son attitude conciliante, vis-à-vis des prétentions des chacals soviétiques, il convient de le mépriser. Il faut se défendre contre nous, de toutes les manières possibles, il faut baisser le « rideau de fer ». Je me souviens d’un cas après la guerre. Je venais d’être démobilisé et j’étais entré à l’université. Chaque semaine on organisait là-bas des « soirées de détente ». Une fois j’y ai amené mon ancien commandant lui aussi démobilisé et qui rentrait dans sa famille via Moscou. Un beau garçon couvert de médailles. Mais malade. Il avait attrapé la syphilis en Allemagne et n’avait pas eu le temps de se soigner. Il s’est mis à faire du plat à une fille de première année qui bien évidemment avait aussitôt mordu. J’ai rappelé au gars ce qu’il avait mais il m’a répondu qu’il s’en foutait, il avait assez souffert comme ça et il avait tous les droits. « Ce qu’on te doit, tu le prends, un point c’est tout », m’a-t-il dit. « Qu’est-ce que cette fille a à voir avec ça ! Elle n’est responsable ni de la guerre, ni de tes blessures, ni de tes maladies. » Il n’a rien voulu savoir. Alors je lui ai dit catégoriquement : « Ou tu laisses la fille, ou je lui dis ce que tu as. » La fille ne m’a pas cru. Il lui a expliqué que j’étais jaloux, que je voulais l’avoir, moi. Et il l’a emmenée. Depuis ce temps-là je déteste les gens qui exigent ce qui ne leur appartient pas de ceux qui ne leur doivent rien.

Là-dessus l’homme m’a souhaité bonne chance sans souffler mot sur d’autres rencontres éventuelles. Il ne s’est pas nommé et ne m’a pas donné son adresse. Je n’ai demandé ni l’un ni l’autre.

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