Histoires à vous glacer le sang by Collectif

Histoires à vous glacer le sang by Collectif

Auteur:Collectif [Collectif]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Lire, Nouvelles, Policier
Éditeur: Presses Pocket
Publié: 1983-12-31T23:00:00+00:00


LUCREZIA

(Lucrezia)

par H.A. DE ROSSO

Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je me réjouirais de la mort de quelqu’un, mais c’est cependant ce que je fis lorsque mourut Nicolo di Donato. Bien sûr, je n’affichai pas mon allégresse, je ne la criai pas à tous les échos. En compagnie des parents et amis du défunt, je pris, au contraire une mine de circonstance et m’affligeai ouvertement comme le voulait la bienséance, déplorant bien haut qu’un homme aussi juste et aimable, un époux aussi tendre et un logeur aussi scrupuleux eût été brutalement enlevé à l’affection des siens. Par moments, je mettais une main sur mes yeux comme pour dissimuler mon chagrin, et ceux qui me virent faire ce geste ne surent jamais que, derrière cette main, il n’y avait nulle larme et qu’au fond de moi-même, au contraire, je riais.

Qu’on ne se méprenne pas, pourtant. Je ne détestais pas Nicolo di Donato. Ma joie n’avait pas pour fondement un sentiment vil, indigne de moi. Je n’éprouvais envers Nicolo ni haine ni affection. Mais j’aimais sa femme, Lucrezia.

J’avais connu Nicolo au pays natal, dans un petit village du Val d’Aoste dont nous étions tous deux originaires. Et, quand on a traversé un océan plus la moitié d’un continent pour s’installer en terre étrangère, il est bien naturel de chercher à se fixer dans un coin où l’on possède des compatriotes, des paesani, comme nous disons. L’étrangeté du cadre et des coutumes devient alors supportable, le sentiment d’isolement et le mal du pays ne sont plus aussi aigus ni aussi douloureux. Voilà pourquoi j’avais pris pension, j’étais devenu un dozzinante, chez Nicolo et sa femme, Lucrezia.

Le lotissement Carson, où se trouvait leur maison, faisait partie d’un village minier du Wisconsin. C’était comme un petit morceau d’Italie enclavé dans le sol étranger, car nous étions beaucoup d’immigrants à l’habiter, à y maintenir les traditions et les usages de la mère-patrie. Ceux d’entre nous qui avaient la chance d’être mariés bâtissaient de grandes maisons et prenaient des pensionnaires célibataires qui, sans eux, n’auraient pas eu de foyer. Comme Nicolo et moi étions « pays » et qu’il y avait chez lui une chambre libre, je m’y installai et de la sorte tombai amoureux de Lucrezia.

Ce n’était pas une paesana à Nicolo et à moi. Elle venait d’un petit village des bords du Tibre, près de Rome : Nicolo avait fait sa connaissance et l’avait épousée alors qu’il était déjà installé aux États-Unis. Lucrezia avait des cheveux auburn auxquels le soleil donnait un reflet fauve, des yeux pervenche, de belles épaules, une forte poitrine et la croupe plantureuse des femmes de son pays. Elle riait souvent, d’un bon rire franc, et son regard, lorsqu’elle le posait sur les hommes, brillait d’un éclat un peu diabolique. Je compris d’autant mieux que Nicolo se fût épris d’elle et l’eût épousée, que j’eus moi-même le coup de foudre en la voyant.

Je ne lui avouai pas mon amour et en subis secrètement les tourments. Elle était la femme d’un autre, celui-ci ne m’avait jamais fait de tort et je ne pouvais me résoudre à tromper sa confiance.



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