Histoire de l'abolition de la peine de mort by Naour Jean-Yves le

Auteur:Naour, Jean-Yves le [Naour, Jean-Yves le]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Chroniques, Document, Essai
ISBN: 2262036284
Éditeur: Perrin
Publié: 2011-01-02T00:00:00+00:00

« Un objet de scandale et de honte »

Beccaria, le premier, a contredit le principe de l’intimidation sur lequel repose l’exécution. Après lui, nombreux sont les auteurs, abolitionnistes ou non, qui se sont émus devant le spectacle de la mise à mort et des désordres qui y sont liés, très loin de l’intimidation recherchée par le législateur. « Toute la canaille y accourt comme au sermon parce qu’on y entre sans payer », ironisait déjà Voltaire25. D’autres parlent d’une « fête de la prostitution26 » ou encore décrivent la foule venue se repaître de la mort d’un homme comme une assemblée de « bêtes fauves27 », une « tourbe cynique » aux mœurs cannibales : « Cette mise en scène funèbre, destinée à la faire trembler, la met en joie28. » Il faut donc être logique et reconnaître avec Bérenger, en 1830, que le spectacle de l’exécution capitale n’effraie en aucune manière, à l’exception des honnêtes gens qui ne s’y rendent pas, et qu’il endurcit ceux qui s’y rendent ; qu’il est, par conséquent, « le plus propre à pervertir ceux auxquels il est offert29 ». La publicité de l’exécution capitale se retrouve donc sous les feux croisés de deux mouvements différents, le constat de son inefficacité si ce n’est de sa dimension de contre-exemple en tuant pour apprendre à ne pas tuer, et une évolution des sensibilités qui fait de plus en plus détester le sang versé et rejeter la monstration de la violence, comme les abattoirs à la périphérie des villes30.

Au nom de la morale, il faut préserver le peuple du spectacle immonde. L’écrivain Tourgueniev, qui a assisté au dernier soupir de Troppmann, raconte en effet les cris, les chants, les sifflets, les gens grimpés dans les arbres qui s’esclaffent quand l’un d’entre eux tombe et se brise les os, le vin qui coule, les grappes de filles aux lèvres colorées, les gamins qui se faufilent au premier rang et les bravos qui fusent quand la tête tombe31. Clemenceau, adversaire convaincu de la peine de mort, s’est lui aussi rendu à la mise à mort de l’anarchiste Emile Henry dont il avait vainement demandé la grâce dans son journal. Contrairement aux lieux communs véhiculés sur l’exécution publique, il n’entend pas de bruit et trouve l’ambiance plutôt recueillie, mais il en garde une « impression de dégoût et d’horreur » qui l’amène à apostropher les défenseurs de la guillotine : « Que les partisans de la peine de mort aillent, s’ils l’osent, renifler le sang de la Roquette. Nous causerons après32. » Ils y sont allés. Et leur témoignage est accablant. Le journaliste du Figaro, Albert Millaud, qui assiste à l’exécution d’Aimé-Thomas Barré, à Paris, le 7 septembre 1878, raconte que le corps n’a pas été assez vite basculé dans le coffre en osier rempli de sciure et qu’un énorme jet de sang a inondé les aides du bourreau. On sait en effet que la projection peut atteindre les trois mètres juste après la chute du couperet. « Je

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