Histoire de la Prusse by Christopher Clark

Histoire de la Prusse by Christopher Clark

Auteur:Christopher Clark [Clark, Christopher]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: PERRIN
Publié: 2013-12-31T16:00:00+00:00


Une politique de transformation

Les diètes provinciales fondées en 1823 n’étaient peut-être pas les solides organes représentatifs rêvés par les radicaux, mais, avec le temps, elles devinrent des centres importants de l’évolution politique. Si elles évoquaient encore les ordres traditionnels de l’Ancien Régime, elles constituaient en réalité une représentation d’un nouveau type : elles tiraient leur légitimité, non de quelque autorité corporative, mais d’un acte législatif de l’État. Les députés disposaient d’une voix propre ; les délibérations avaient lieu en session plénière et non en comités distincts, comme c’était le cas pour les ordres de l’Ancien Régime ; enfin et surtout, la noblesse (Ritterschaft) ne reposait plus sur la naissance (sauf pour un petit groupe de nobles « immédiats » de Rhénanie) mais sur la propriété terrienne. Seule comptait la possession de « terres privilégiées », au détriment du statut privilégié acquis à la naissance40. Les propriétaires terriens bourgeois, dont les acquisitions foncières transformaient le paysage social des régions prussiennes depuis le milieu du XVIIIe siècle, étaient désormais admis aux premiers rangs de la nation politique – sauf s’ils étaient juifs, auquel cas ils devaient se faire représenter par procuration.

C’était là un point d’intersection de la volonté de réforme sociale et de la politique, car le transfert des anciennes propriétés nobiliaires vers les classes moyennes se poursuivit à un rythme encore plus soutenu quand les réformateurs eurent déréglementé le marché des terres rurales. En 1806, 75,6 % des propriétés nobiliaires de l’arrière-pays de Königsberg étaient encore aux mains de la noblesse. En 1829, ce chiffre était passé à 48,3 % seulement. Le déclin est encore plus net dans le département de Mohrungen, en Prusse orientale, où la proportion chuta de 74,8 à 40,6 %. La Prusse orientale présentait un cas extrême en raison des conséquences dévastatrices, sur l’économie céréalière de la province, des crises de 1806-1807 et du blocus napoléonien, mais les chiffres pour la Prusse dans son ensemble témoignent d’une tendance générale : en 1856, à peine 57,6 % des terres nobiliaires appartenaient encore à des propriétaires nobles. Il en résulte que les diètes étaient plus ploutocratiques qu’elles n’en avaient l’air. Quoique truffées de leurres étatistes complexes, elles illustraient la naissance d’une citoyenneté fondée sur la propriété.

D’emblée, timidement d’abord puis avec plus d’audace, les diètes s’évertuèrent à étendre le rôle qui leur était assigné. Nombre des propositions soumises par les députés avaient un caractère ouvertement politique, comme pour mettre à l’épreuve les limites fixées par l’État au fonctionnement de la Diète. Il y eut ainsi des requêtes en faveur de la libre diffusion des travaux de l’assemblée – mesure formellement interdite par la censure gouvernementale –, des pétitions réclamant que le ressort de la Diète soit élargi à des sujets « toujours plus nombreux et variés », et des appels à la création d’une assemblée générale représentant l’ensemble du royaume41. Enfin, la liberté de la presse faisait partie des thèmes récurrents dans les débats. En d’autres termes, les diètes canalisaient les exigences libérales des provinces, que ces exigences émanent des députés ou d’un plus large public ouvert à la culture politique.



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