Gueule de pierre (Pléiade) by Raymond Queneau

Gueule de pierre (Pléiade) by Raymond Queneau

Auteur:Raymond Queneau [Queneau, Raymond]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


LE CAPRICORNE

(SOLSTICE D’HIVER)

« Ah vieux chasseur, tu ne sais donc plus rien, tu ne sais plus rien, tu ne sais plus voir ?

« Tes balles sont sans force et sans destin, pauvre vieux chasseur devenu petit gibier.

« A-t-on jamais vu gibier tirer sur les chasseurs ? un pauvre petit gibier ?

« Car tu n’es plus un lion, mon père, un lion puissant et fort.

« Tu n’es plus un tigre souple et féroce, tu n’es plus l’ours épais, le maître des montagnes,

« Tu n’es plus qu’au pauvre petit gibier impuissant, tu fuis comme un lièvre et tu te sauves comme un écureuil.

« Et te voilà, petit lapin, qui nous vises avec ton fusil d’herbes sèches.

« Tu veux tuer le chasseur, petit lapin ? tu ferais mieux de jouer sur le tambour

« Un roulement funèbre pour accompagner ta mort qui s’approche à longs pas.

« Sur le flanc des montagnes et dans le fond des abîmes devrait rouler l’écho de tes plaintes et de tes gémissements,

« L’écho de tes lamentations, car tu dois mourir, lapin mon père !

« Cette nuit même est l’annonce de ta mort et tu le sais bien.

« Vieux lion, tes dents sont arrachées[15] ! vieux tigre, tes griffes sont arrachées !

« Vieil ours, tes poils tombent à poignées et les rhumatismes encombrent tes pattes !

« Kougard-le-Grand tu n’es plus qu’un moineau sans défense, un gibier ridicule,

« Mais je n’ai pas pitié de toi, je n’ai pas pitié de ta défaite piteuse et de ta pitoyable fuite.

« Je n’ai pas pitié de toi parce que tu es devenu faible et perclus.

« Tes flèches émoussées me font rire de haine et non pleurer de pitié.

« Je ne pleurerai pas de pitié, car tu as voulu détruire ma vie.

« Je n’aurai pas pitié de toi, mon père, parce que tu m’as humilié.

« Tu m’as tant fait souffrir que ma haine ne peut se satisfaire de ton ridicule et de ton impuissance

« Mais seulement de ton sang répandu et de ta mort accomplie.

« Tu m’as fait tant souffrir que la pitié ne saurait calmer ma haine par de laiteuses paroles.

« Je t’écraserai la tête et j’étalerai tes viscères sur les rochers brûlés par le zénith,

« Car mon cœur est plein du désir de ta mort. »

Et de son dernier trait le père tua l’aigle qui planait au-dessus de lui.

Le soleil chavira derrière les montagnes occidentales et sombra dans sa gloire

Éventrée par les rochers.

Ce fut[p] le crépuscule et puis ce fut la nuit.

Dans les ténèbres, le père continua son chemin traversant le défilé des Oiseaux[16].

Jean cessa la poursuite car dans l’ombre il ne voulait se perdre.

Pierre qui ne craignait pas de se perdre, confiant dans sa haine, avec lui cependant resta,

Mais Kougard dans la nuit, disparut dans l’abîme.



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