Grossir le ciel by Franck Bouysse

Grossir le ciel by Franck Bouysse

Auteur:Franck Bouysse [Bouysse, Franck]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: La Manufacture de Livres
Publié: 2014-01-01T05:00:00+00:00


Jusqu’ici, les deux hommes ne s’étaient jamais vraiment brouillés, et c’était pas une mince performance quand on les connaissait. Il n’y en avait pas un de plus sociable que l’autre, et il faut reconnaître que le véritable tour de force c’était : qu’ils arrivent à faire plus que se supporter.

Abel était plutôt taciturne, avec des mystères dans la tête, certainement comme tout le monde, mais pas du genre à livrer ses états d’âme. D’une certaine façon, sans le vouloir, il avait déjà révélé un bout de peau sous son armure, un jour de juin où Gus était descendu à pied jusque chez lui pour chercher la botteleuse qu’ils avaient achetée ensemble, il y avait plus de dix ans de ça. Comme c’était trop bête de posséder chacun une machine qui ne servait qu’une fois l’an, ils avaient fait l’acquisition d’une Claas d’occasion, une bonne machine, qui crachait des bottes régulières d’une vingtaine de kilos, semblables à des gros sucres blonds.

À l’époque, Gus était arrivé à la ferme d’Abel, qui était occupé à lire un bout de papier, assis sur les marches, devant sa maison, tellement absorbé par sa lecture qu’il n’avait pas immédiatement décelé la présence de Gus.

— Salut, Abel, avait dit Gus, suffisamment loin de lui pour ne pas avoir l’air d’espionner.

Abel n’avait pas répondu tout de suite. Il avait replié le papier en quatrième vitesse, puis l’avait fourré dans une poche de sa veste. Ensuite, il avait fait mine de se frotter les yeux et Gus avait cru voir un peu de sueur sur le bout de ses doigts. On était en juin.

— Putain de soleil ! avait dit Abel en regardant droit devant lui, là où Gus n’était pas.

— Ouaip, mais le bon côté des choses, c’est qu’il fait sacrément bien sécher le foin ces temps-ci, dit Gus gêné.

— C’est bien vrai qu’on peut pas tout avoir.

— Qui le voudrait ?

— T’as besoin de quelque chose ?

Abel avait posé la question, sans répondre à celle de Gus, puis s’était tourné vers lui en plissant les yeux, comme une chouette gênée par la lumière du jour.

— Je peux prendre la botteleuse, demain ?

— Pas de problème, de toute façon, j’ai pas fini de faucher.

— J’ai regardé la météo, ils disent qu’on a quelques jours de beau temps devant nous, dit Gus en regardant le ciel bleu.

— Ça devrait largement suffire pour ce qu’on a à faire.

— Tu me fais signe quand t’as besoin de rentrer ton foin.

— D’accord, pareil pour toi.

Depuis des années, les deux hommes s’entraidaient pour charger les bottes sur la remorque, puis les empiler dans la grange. Seul, ça aurait été une drôle de corvée ; à deux, ça l’était beaucoup moins. Les autres paysans du coin avaient résolu le problème depuis belle lurette en s’équipant de ces engins qui font des bottes aussi grosses que des montagnes et qu’ils n’ont plus qu’à transporter avec une fourche hydraulique et à poser au sec dans une grange sans même descendre de leur tracteur. Pour ça aussi, Abel et Gus étaient restés à l’ancienne heure.



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