Gomorra, dans l'empire de la Camorra by Robert Saciano

Gomorra, dans l'empire de la Camorra by Robert Saciano

Auteur:Robert Saciano [Saciano, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit, mafia
Publié: 2011-10-28T05:26:11+00:00


SECONDE PARTIE

KALACHNIKOV

J’ai passé les doigts sur la surface. J’ai même fermé les yeux. Je faisais glisser le bout de l’index de haut en bas et, au niveau du trou, l’ongle s’enfonçait à moitié. Je faisais ça sur toutes les vitrines. Parfois le bout du doigt entrait tout entier, parfois la moitié seulement. Puis je faisais la même chose, mais plus vite : je caressais la surface comme si mon doigt était une sorte de ver surexcité qui entrait et sortait, franchissant les trous à toute vitesse. Jusqu’à ce que je me coupe profondément. J’ai alors continué à frotter mon doigt sur la vitre, laissant une trace aqueuse et pourpre. J’ai ouvert les yeux. Une douleur sournoise, instantanée. Le trou s’était rempli de sang. J’ai cessé mes idioties et léché la plaie.

Les trous que font les Kalachnikov sont parfaits. Les balles pénètrent violemment dans les vitres blindées, les creusent, les entament comme des vers affamés qui y feraient des galeries. Vus de loin, les impacts produisent une impression étrange, comme des dizaines de petites bulles qui se seraient formées au cœur du verre, parmi les diverses couches de blindage. Après une rafale de Kalachnikov, aucun commerçant ou presque ne change sa vitrine. Certains remplissent les trous avec de la pâte de silicone, d’autres avec du ruban adhésif noir, mais pour la plupart ils ne font rien. La vitrine blindée d’un magasin peut coûter jusqu’à cinq mille euros, autant garder ces sinistres décorations. Qui peuvent même attirer les clients, les curieux qui s’arrêtent et demandent ce qui s’est passé, commencent à discuter avec le propriétaire de la boutique et repartent avec quelque chose qu’ils n’avaient pas prévu d’acheter. Au lieu de remplacer les vitres blindées, on attend qu’une prochaine rafale les brise définitivement. À ce moment-là les assurances paieront, il suffit de venir tôt le matin et de faire disparaître la marchandise pour que l’agression soit considérée comme un vol.

Tirer sur les vitrines n’est pas forcément un geste d’intimidation ou un message que délivrent les balles, c’est surtout une nécessité militaire. Quand de nouveaux lots de Kalachnikov arrivent, il faut les essayer, voir si elles fonctionnent, s’assurer que le canon est bien en place, que le chargeur ne s’enraie pas, se faire la main. Les hommes des clans pourraient le faire dans la campagne, tirer sur les vitres de vieilles voitures blindées, acheter des plaques de métal à mitrailler en toute tranquillité, mais ils ne font rien de tel. Ils tirent sur les vitrines des magasins, sur les portes blindées, sur les rideaux métalliques : une façon de rappeler qu’il n’y a rien qui ne puisse leur appartenir, qu’au fond tout n’est qu’une concession momentanée, qu’ils délèguent une partie de l’activité économique qu’eux seuls contrôlent réellement. Une concession, rien d’autre qu’une concession qui peut être annulée à tout instant. Mais il y a aussi un avantage indirect : les vitriers du coin qui pratiquent les meilleurs prix sont tous liés aux clans, de sorte que plus il y a de vitrines brisées, plus les vitriers y gagnent.



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