Foutez-nous la paix ! by Isabelle Saporta

Auteur:Isabelle Saporta [Saporta, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Politique
Publié: 2016-02-16T23:00:00+00:00

* * *

1.

Dans le procès verbal d’audition de Mme Béatrice Capocchi, cette dernière émet un bémol et se refuse à parler de registre brocciu mais de classeur de fabrication fromage.

2.

D’ailleurs Antoine Ottavi ne se démonte pas, expliquant que le lait de brebis est plus cher que le lait de chèvre et qu’il n’avait donc aucun intérêt à le faire… Pourquoi l’a-t-il fait, alors ?

24

Le bal des tartuffes

Quand une aussi vaillante fonctionnaire parvient à lever un pareil lièvre, qu’elle a le courage de s’opposer à l’un des plus gros industriels de la région, qui est en outre le patron de l’interprofession, on imagine que sa hiérarchie l’assure de son soutien. Eh bien non. Bien au contraire. Après avoir mené une perquisition si éprouvante, elle a dû faire face aux pressions de son administration, bientôt relayées par celles des politiques. On est alors sous la présidence de Nicolas Sarkozy et la cellule élyséenne a à cœur de se charger personnellement des affaires corses.

Naïvement, l’enquêtrice se serait ouverte à son directeur de sa volonté de poursuivre cet industriel au vu des nombreuses anomalies qu’elle a relevées sur place. La réponse de son patron ne se serait pas fait attendre : « Vous avez des billes ? » lui aurait-il demandé d’un ton très sec. « Elle lui a répondu, je m’en souviens comme si c’était hier : “Ce ne sont pas des billes que j’ai, mais des boules de pétanque !” » se remémore l’un de ses proches collaborateurs. Devant sa détermination, le directeur aurait essayé la compassion, « il voulait lui faire comprendre qu’elle risquait de faire sauter le préfet de l’époque », s’amuse ce même fonctionnaire. « Sauf qu’elle s’en fichait complètement. Alors il l’a menacée de la virer. » Ce à quoi elle lui aurait répondu : « Mettez un bus devant l’administration si vous pensez vous débarrasser de moi, car je ne partirai pas seule ! »

« Elle était très isolée pour mener son enquête », se souvient ce berger. Heureusement, rien n’arrête cette femme pugnace. Elle continue sans relâche à éplucher les factures et les comptes de l’entreprise. Et s’aperçoit qu’ils lui ont fourni une comptabilité incomplète. « Ça l’a littéralement habitée pendant plus de deux ans. Elle passait sa vie au bureau, elle bossait tous les soirs jusqu’à minuit », se souvient l’un de ses collègues.

« Un beau matin, notre patron nous annonce qu’Ottavi va venir pour une transaction, et que tout ceci devrait s’arranger sans que ça n’aille jusqu’au procès », peste l’enquêteur qui n’avait jamais vu une pareille aberration.

On est entre soi, et Antoine Ottavi est un notable. On lui propose donc une transaction à… 7 500 euros1 ! Soit 0,15 % du chiffre d’affaires de l’entreprise2 ! L’administration sait faire preuve d’une immense mansuétude envers les grands de ce monde.

« C’était bien mal la connaître que de penser qu’elle allait se laisser faire, s’amuse ce berger. Elle est allée trouver directement le procureur de la République, Yves Paillard, qui, bienheureusement, n’était pas du tout enclin à enterrer l’affaire.

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