Fontgallow by Jean-François Dusart

Auteur:Jean-François Dusart
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Les Lettres Mouchetées
Publié: 2016-01-15T00:00:00+00:00

Chapitre 10

Hélas, l’enfer, Abel allait le connaître. Justin devenait irascible, parfois incohérent. Depuis que la porcherie revivait, il ne pensait plus qu’à s’en occuper, à compter et recompter les porcs. Un jour, il en manquait un, on le lui avait volé, un autre jour, il y en avait trois de trop, alors qu’aucune truie n’avait mis bas. Sans cesse, il harcelait son compagnon, lui répétait toujours les mêmes consignes, lui serinait les mêmes conseils. Abel ne pouvait plus rien ignorer de l’élevage de porc. Les yeux fermés, il pouvait dorénavant contrôler n’importe quelle soue. Les porcs, les coches, les gorets, les cochons de lait, les verrats n’avaient plus aucun secret pour lui.

– Il faudra te méfier de certaines truies, elles sont capables de bouffer leurs petits. Celles-là, faut les mettre en cage. Y’en a une là-bas.

Il lui demanda de le suivre au bout de la porcherie et lui montra une cage en ferraille rouillée. Il voulut la déplacer car elle était abandonnée au milieu des orties depuis longtemps, mais il tomba. Abel le releva tant bien que mal, mais il gesticulait en vociférant.

– Nom de Dieu, j’ai eu un de ces tournis ! C’est toi qui m’as poussé ? Hein, tu veux que je crève ?

– Non.

– Si ! T’as voulu me jeter aux orties ? Ben, c’est raté mon p’tit gars, de ce pas, j’vas le dire au comte…

Il partit en titubant comme s’il avait bu. Il criait au secours. Abel prit le chemin du potager et se mit au travail. Il était urgent de biner tous les carrés des légumes et de retourner les carrés des fleurs. Il entendit des hurlements provenant de la cour du manoir. Le comte surgit quelques instants plus tard et apostropha son jardinier :

– Vous avez voulu tuer Justin ?

– Non.

– Il dit que si. Que vous l’avez jeté aux orties pour vous débarrasser de lui et que vous l’avez secoué comme un prunier.

– Non.

Accusé, Abel répliqua par gestes au comte et tenta de se disculper en démontrant qu’il n’était pas capable de faire une chose pareille. Il ne pouvait même pas supporter de tuer une bête, alors tuer Justin qui était son compagnon affable depuis son arrivée au manoir…

– Quand est-ce que vous allez vous mettre à parler comme tout le monde bon sang de bonsoir. Vous le faites exprès sacrebleu, oui ou non ? Répondez-moi franchement.

Abel baissa la tête et se mit à pleurer. Il en avait assez de se sentir anormal, de plus en plus anormal au fur et à mesure qu’il vieillissait, conscient d’être impuissant pour le moment à résoudre ce déficit oral. Il ne le montrait pas mais en était honteux et cela le bloquait encore plus et l’enfermait dans une timidité maladive. Il ne pouvait pas parler au comte de son espoir secret de vaincre sa maladie incurable en buvant l’eau miraculeuse du bénitier de la fosse mobile. Fontgallow le sauverait, il ne pouvait que garder raison et attendre le jour du grand évènement. Après un hoquet, il releva la tête et répondit au comte.

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