Epicure en Corrèze by Marcel Conche

Epicure en Corrèze by Marcel Conche

Auteur:Marcel Conche [Conche, Marcel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2014-04-30T04:00:00+00:00


8

Le silence heureux

Mimi et moi, durant le demi-siècle que nous avons passé ensemble, n’avons guère échangé de paroles. Nous nous comprenions si bien que les conversations étaient souvent inutiles. Je voudrais parler de ce silence, qui fut pour moi l’une des manifestations du bonheur mais était, étrangement, fondé sur une divergence profonde. J’étais certain que ma femme n’abandonnerait pas sa foi catholique, vitale pour elle. Il n’aurait pas été utile de critiquer le catéchisme de Jean-Paul II, de lui montrer que la bonté de Dieu est contradictoire avec ce que l’on voit de son œuvre. Elle, de son côté, savait qu’absolument rien n’aurait pu me ramener à la religion. Je l’avais abandonnée de façon totale et définitive. Sur ces questions essentielles, aucun langage commun n’était possible entre nous. Il était cependant entendu que François, notre fils, serait élevé chrétiennement. Je m’y étais engagé car, sinon, Mimi n’aurait pas voulu m’épouser, et je me suis tenu à cet engagement. Il a été baptisé, il a été scout, il est parti en Angleterre, il a très bien appris l’anglais et il est devenu professeur d’anglais. Entre Mimi et moi, le désaccord était donc entier mais chacun admettait malgré tout que c’était avec l’autre qu’il avait choisi de vivre et n’aurait pas pu vivre autrement. Ma femme était d’une telle supériorité d’esprit, de finesse, de délicatesse, de jugement, de générosité, d’ingéniosité, de compréhension d’autrui que je ne pouvais que l’admirer et l’aimer. Aujourd’hui encore, elle l’emporte sur toutes les natures féminines que j’ai connues. Je ne sais pas ce qui pouvait lui plaire en moi et ne me suis jamais vraiment posé la question, mais elle m’aimait de façon absolue, c’était un fait. De cette évidence, de même que de notre désaccord essentiel, il n’y avait donc pas à discuter. Pour discuter, il faut a priori accepter de se rendre aux raisons de l’autre, sinon, aucune argumentation sérieuse n’est possible. C’est pourquoi, par exemple, je n’accepte pas de discuter avec des croyants. Lorsque des chrétiens me sollicitent pour participer à des conférences, je leur demande : « Envisagez-vous d’abandonner votre foi religieuse à partir de ce que je vais vous dire ? » Ils n’y sont évidemment pas disposés. Alors, ce n’est pas la peine que je parle pour rien.

Avec Mimi, nous avons toujours su éviter de parler pour rien. Notre silence faisait tant partie de notre compréhension mutuelle que nous ne songions pas assez à parler devant et avec notre fils. Nos repas familiaux étaient souvent silencieux. Était-ce une bonne chose pour François ? Nous l’avons éduqué par l’exemple mais aurions pu l’éduquer par nos paroles comme mon père avait su le faire pour moi. Il ne s’agissait pas de se quereller devant notre fils mais simplement, sans élever la voix, d’énoncer des arguments raisonnables en partant d’évidences premières. C’est ainsi qu’il faut philosopher.

Cependant, nous parlions beaucoup lorsque nous étions avec d’autres ou lorsque nous recevions des amis. Je me souviens par exemple d’un dîner avec André Comte-Sponville et sa compagne Maximine, poète de qualité qui a reçu le prix Verlaine.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.