Eloge du retard by Hélène L'Heuillet

Eloge du retard by Hélène L'Heuillet

Auteur:Hélène L'Heuillet
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2020-01-08T14:41:18+00:00


S’ennuyer pour se réconcilier avec le temps ?

Si la fatigue contemporaine ne produit pas l’hypersomnie, mais l’insomnie, ou cette sorte de grève de vie qu’est l’oblomovisme, ses remèdes ne peuvent pas être ordinaires. Pour Byung-Chul Han, un des remèdes est l’ennui profond, celui qu’on connaît, par exemple, dans la contemplation.

Pour l’auteur de La Société de la fatigue, l’ennui nous libère de l’hyperattention que nous devons déployer pour survivre dans la société contemporaine. La société contemporaine, qui nous demande de ne jamais rien rater, de ne jamais rien manquer, d’être toujours informé « en temps réel » de tout ce qui se passe, se situe à l’opposé de tout ce que réclame une culture humaine. La culture requiert, au moins de temps en temps et sur certains objets, une « attention profonde57 ». La culture nécessite une attention profonde et une traversée de l’ennui, qui est une traversée du vide dans lequel le temps se donne à nous à l’état pur. Il est vrai que l’ennui est une des modalités du sentiment du temps. Retrouver le temps exige donc peut-être de passer par l’ennui comme on passe un seuil. Parce que la surpression de la société accélérée rend l’ennui intolérable, il faut le traverser comme on traverse un sas. L’ennui deviendrait le seuil d’entrée dans l’humaine condition, la chance offerte de ne pas nous « distraire » de nous-même – pour reprendre le concept de distraction au cœur de l’œuvre de Miguel Benasayag58.

Non seulement l’ennui n’est pas distrayant, mais il nous sauve du penchant à la distraction. Il faut entrer dans l’ennui, ne pas le redouter et aller jusqu’à l’« ennui profond », selon Byung-Chul Han. Cet ennui profond ne doit donc pas être confondu avec l’ennui superficiel qui nous saisit quand nous sommes précisément distraits de nous-même par une conversation ou un discours assommant. À condition donc d’entendre par « ennui » l’ennui profond, cette expérience pourrait bien nous réconcilier avec le temps. Selon Byung-Chul Han, elle permet de redonner une place au négatif. L’ennui est en effet un autre nom de ce vide creusé par le langage et donc inhérent à notre condition langagière. La carence en ennui est une des causes des nouvelles pathologies du sommeil.

L’intolérance à l’ennui est nécessairement générée par l’excès de positivité. Notre capacité d’attention est sans cesse sollicitée par la multiplicité des informations qui nous parviennent. Nous devons être « multitâches ». Ce n’est pas une augmentation ni un progrès, mais une régression. Les animaux sont multitâches parce qu’ils sont par définition toujours menacés. L’animal sauvage ne peut pas relâcher son attention, il est en état de vigilance permanente. Les jeux vidéo nous ramènent à la condition de l’animal sauvage. Nous vivons de plus en plus en état de survie, sans le luxe de l’ennui profond.

Sans cet ennui dont Walter Benjamin fait l’éloge dans « Le narrateur », il n’est pas de partage possible d’expérience et pas d’écoute de quiconque59. La faculté de transmettre des expériences est pourtant l’autre nom de la littérature. Benjamin



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