Elles by Virginia Woolf

Elles by Virginia Woolf

Auteur:Virginia Woolf [Woolf, Virginia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
Éditeur: Payot et Rivages
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Geraldine et Jane

Geraldine Jewsbury ne se serait certainement pas attendue à ce que quiconque, à ce moment de la journée, se soucie de ses romans. Si elle avait surpris quelqu’un dans une bibliothèque en train de les descendre de l’étagère, elle lui aurait fait des remontrances. « Ce sont de telles absurdités, ma chère ! » aurait-elle dit. Et puis il est plaisant d’imaginer qu’elle se serait jetée dans sa tirade habituelle, irresponsable et guère conventionnelle, contre les bibliothèques et la littérature et l’amour et la vie et tout le reste – ponctuée d’un « Qu’ils aillent au Diable ! » ou d’un « Maudits soient-ils ! » – car Geraldine adorait jurer.

La chose étrange au sujet de Geraldine Jewsbury, en effet, était la manière dont elle associait les serments et les caresses, le sens et l’effervescence, l’audace et les effusions : « … démunie et tendre d’un côté, et de l’autre assez forte pour fendre même le roc » – tel est le résumé qu’en donne Mme Irelander, sa biographe. Ou encore : « D’un point de vue intellectuel, c’était un homme, mais le cœur qu’elle avait était plus féminin qu’aucune fille d’Ève pût jamais s’en vanter. » Même à la regarder, il y avait en elle, paraît-il, quelque chose d’incongru, de bizarre, de provocant. Elle était très petite et très garçonne, très laide et pourtant attirante. Elle s’habillait très bien, portait ses cheveux roux dans un filet, et des boucles d’oreilles en forme de perroquets miniatures se balançaient à ses oreilles tandis qu’elle parlait. Ici, dans le seul portrait que nous avons d’elle, elle est assise à lire, détournant à moitié son visage, pour l’instant démunie et tendre plutôt qu’en train de fendre même le roc.

Mais ce qui lui était arrivé avant qu’elle ne s’assît à la table du photographe pour lire son livre est impossible à dire. Jusqu’à l’âge de vingt-neuf ans, nous ne savons rien d’elle, sinon qu’elle est née en l’an 1812, qu’elle était la fille d’un marchand, et qu’elle vivait à Manchester ou à proximité. Dans la première partie du XIXe siècle, une femme de vingt-neuf ans n’était plus toute jeune, elle avait déjà vécu sa vie si elle ne l’avait pas manquée. Et puisque Geraldine, avec ses manières non conventionnelles, était une exception, il est difficile de croire qu’il ne se soit pas passé quelque chose de très extraordinaire dans les années obscures précédant celles où nous la connaissons. Quelque chose a eu lieu à Manchester. Une sombre figure masculine se profile en arrière-plan – une créature infidèle mais fascinante, qui lui avait appris que la vie est perfide, que la vie est dure, que la vie est l’enfer matérialisé pour une femme. Une mare d’expériences noires s’était formée au fond de son esprit dans laquelle elle plongeait pour consoler ou pour instruire les autres. « Oh ! C’est trop affreux pour en parler. Pendant deux ans, j’ai vécu uniquement pendant les courts répits que me laissaient ces obscures ténèbres », s’écriait-elle de temps à autre.



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