Elle rêvait d'autres cieux et d'autres matins by SIGNOL Christian & Christian Signol

Auteur:SIGNOL Christian & Christian Signol [Signol, Christian & Christian Signol]
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2024-08-07T00:00:00+00:00

19

Qui suis-je pour détenir les confessions intimes de Clémence ? Il n’est pas temps de le dévoiler : je suis de peu d’importance, moi, en comparaison de cette femme qui avance sur un chemin périlleux avec courage et en s’efforçant de garder l’espoir. Disons que si je possède ces cahiers, c’est parce qu’elle n’est pas une étrangère pour moi. Je la connais bien car je relis souvent les lignes qu’elle a patiemment écrites depuis son adolescence jusqu’à cette époque où les menaces pesaient au-dessus d’elle, de Franz et de Ludwig.

Une époque où Léon Blum avait remis sa démission, épuisé par un pouvoir sans cesse mis en cause par les partis d’opposition et devenu incapable de former un nouveau gouvernement. Comment, dans ces conditions, la France aurait-elle pu s’opposer à l’Anschluss et donc à l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne au printemps de 1938 ? Avec le rattachement de huit millions d’Autrichiens, l’Allemagne atteignait désormais quatre-vingt-deux millions d’habitants alors que la France en comptait à peine quarante-deux. Clémence était désespérée de constater à quel point Hitler faisait peur à l’Europe entière alors qu’elle avait cru à une réaction énergique de la France et de l’Angleterre. Elle le fut encore plus au mois de septembre suivant, lorsque le nouveau président du Conseil français, Édouard Daladier, signa à Munich un accord qui abandonnait une partie de la Tchécoslovaquie – les Sudètes – à Hitler. Et Daladier avait été accueilli en héros au Bourget pour avoir « sauvé la paix ».

— Ils n’ont encore pas compris ? s’indigna Clémence auprès de Joséphine. Bientôt ce sera le tour de la France. Elle a trahi sa parole, abandonné un allié, approuvé une négociation qui n’est qu’un coup de force de plus. Bientôt elle le payera.

Et pourtant les manifestations pacifistes se multipliaient, désespérant Clémence pendant toute l’année qui suivit, d’autant que le gouvernement Daladier bénéficiait d’une réelle popularité depuis Munich. Dès lors, Clémence cessa d’écouter la TSF dont les nouvelles l’accablaient. Et pourtant, là-bas, Hitler poursuivait sa politique d’annexion en Tchécoslovaquie, en Slovaquie et en Lituanie. Puis, après la signature du pacte germano-soviétique, il se retrouva libre d’attaquer la Pologne sans rien avoir à craindre de l’URSS. La France et l’Angleterre tentèrent d’inciter la Pologne à négocier, mais elle refusa. Le 1er septembre, les troupes allemandes entrèrent en Pologne ; et le 3, la France et l’Angleterre déclarèrent la guerre à l’Allemagne.

Pour Clémence, ce fut un jour de joie, alors que pour la population française, ce fut la consternation. Elle le dissimula de son mieux dans les rues du village où elle se rendit, le lendemain, avec Joséphine, pour acheter des provisions. Elle ne s’y attarda d’ailleurs pas, car ce fut à cette occasion-là qu’elle perçut pour la première fois des signes d’hostilité de la part des commerçants. Comme elle s’en inquiétait auprès de Joséphine, celle-ci lui expliqua que tout se savait dans les villages : nul n’ignorait ici qu’elle était partie de son plein gré en Allemagne pour y retrouver un ancien prisonnier. Elle était donc devenue

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