D.Turcotte et fils by Dany Turcotte

Auteur:Dany Turcotte [Turcotte, Dany]
La langue: fra
Format: epub
Tags: biographie;humour;Tout le monde en parle;bi-polarité;deuil;homosexualité
ISBN: 9782898252754
Éditeur: Groupe Fides Inc. - Éditions La Presse
Publié: 2024-10-15T00:00:00+00:00

Ce soir-là, il est le nouveau chef du PQ. Il semble en confiance et je lui pose une question importante à mes yeux. Je lui demande, si un jour il devient premier ministre du Québec, s’il pense emmener son conjoint dans des activités officielles. Il y a évidemment beaucoup de « si » dans ma question, mais la réponse m’intrigue. Il me répond : « Encore faudrait-il que j’en aie un ! » S’ensuit une espèce de jeu de séduction entre lui et moi. Je blague là-dessus pendant une partie de l’émission. Comme tout bon vieux singe qui trouve un bon filon, je l’exploite le plus longtemps possible. Je finis même la soirée en disant à Guy, dans un dernier gag avant le générique : « Dany Boisclair, ça sonne bien ! »

La semaine suivante en sera une de harcèlement de quelques journalistes, qui veulent se repaître goulûment de mon coming out en primeur. Mon téléphone, dont le numéro est tout sauf confidentiel, sonnera régulièrement. Flairant l’appétit de ces corneilles pour ma sortie du placard, je ne répondrai jamais. Quand on est une personnalité publique, on a deux coming out à faire. Un pour la famille et les amis, et un autre pour le public. C’est un geste lourd et complexe qui provoque énormément d’anxiété. On a peur des réactions, on craint le rejet, la haine, le mépris, qui sont des traumatismes faisant partie des démons intérieurs de plusieurs personnes LGBTQ+.

On a aussi tendance à surestimer l’impact que cette annonce aura sur les gens. Le coming out, on le fait d’abord et avant tout pour soi, justement pour s’affranchir de ces stigmates. J’entends parfois des gens hétéros dire : « Le coming out est inutile. On s’en fout, avec qui tu couches. Tu fais ce que tu veux dans ta vie privée, ce n’est pas de nos affaires ! » Désolé, mais c’est beaucoup plus complexe que ça. La frontière entre la vie privée et la vie publique est constamment franchie dans le langage de tous les jours. On n’a qu’à noter le nombre de fois où les gens font allusion, dans le small talk, à leur intimité sans même s’en rendre compte. Chaque fois qu’ils prononcent les mots « blonde », « enfants », « fin de semaine », ils dévoilent sans qu’on le leur demande une partie de leur intimité. C’est à toutes ces références qu’on s’interdit de faire que le coming out donne accès.

De plus, quand on est dans l’œil du public, le geste de dévoiler qui on est vraiment peut servir de modèle à des gens qui l’ont moins facile. Les nouvelles générations semblent délivrées de ces chaînes inutiles et c’est parfait. Mais il n’en serait pas ainsi sans le travail de bien des gens qui ont osé défoncer, à grands coups d’épaules, ces étouffantes portes de placard.

La semaine suivant la visite d’André Boisclair, je sais que c’est le moment de quitter ma neutralité sexuelle pour annoncer au monde entier que je suis un homme gai. J’en parle à ma mère.

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