Dix Jours en mai by Pierre Favier

Auteur:Pierre Favier [Favier, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Historique
Éditeur: Seuil
Publié: 2011-03-31T22:00:00+00:00

Pour Michel Rocard, la déconvenue allait être de nature différente… Chantre de la « deuxième gauche », du « parler-vrai » et d’une gauche réformiste, il avait tenu parole et s’était retiré de la course à l’Élysée dès la déclaration de candidature de Mitterrand. Il s’était montré loyal durant la campagne présidentielle en dépit de ses désaccords avec nombre de propos et propositions du candidat Mitterrand. Rocard avait même consenti à venir à la télévision, à la demande de Mitterrand, pour répliquer à Valéry Giscard d’Estaing. Le vendredi 8 mai, alors que la campagne télévisée officielle touchait à sa fin et que les écrans allaient s’éteindre pour tous les candidats, Rocard était rentré en toute urgence d’une réunion électorale près de Toulouse pour démonter point par point les attaques que Giscard d’Estaing venait de développer sur le programme économique de Mitterrand. La contre-attaque argumentée de Rocard, dans les dernières heures de la campagne, avait alors impressionné l’entourage du candidat de la gauche, qui l’avait jugée « très efficace » et « très utile ». Rocard avait fait son devoir, loyalement.

Tout continuait cependant à séparer les deux hommes, qu’il s’agisse de la stratégie d’union de la gauche, du contenu du programme économique et social, des alliances, de la dissolution de l’Assemblée nationale… Pourtant, ce service rendu à un moment décisif et sans barguigner avait sans nul doute marqué Mitterrand. Quoi qu’il en soit, en composant le premier gouvernement de la gauche, le président entendait montrer sa volonté de rassembler tous les socialistes, de faire participer au pouvoir tous les courants du PS, y compris les minoritaires emmenés par Michel Rocard, en dépit des stigmates de Metz. Le député-maire de Conflans-Sainte-Honorine s’était alors pris à rêver de l’Éducation nationale, sachant que Mitterrand ne lui accorderait ni l’Économie – domaine qu’il maîtrisait bien – ni le secteur social, où les « rocardiens » avaient pourtant élaboré maintes propositions innovantes.

« Michel Rocard avait demandé l’Éducation nationale, ministère qui l’intéressait vivement. François Mitterrand s’y opposa », rapporte Pierre Mauroy63, sans dire les raisons qu’il avait invoquées. Puis il ajoute : « Toute notre histoire […] est émaillée de malentendus et d’incompréhensions entre François Mitterrand et Michel Rocard. Dans mon rôle, je ne cesserai de prévenir ou d’assouplir un conflit toujours latent. »

Mitterrand a quand même reçu Michel Rocard le mardi 19 mai en début d’après-midi. Mais, comme Jacques Delors, il n’a pas eu droit à la table familiale du déjeuner. La conversation en tête à tête n’a duré qu’une trentaine de minutes dans ce bureau, envahi par les livres, dont Rocard n’était pas un familier. Est-ce que, dans ce face-à-face, Rocard a clairement manifesté son désir d’aller au ministère de l’Éducation nationale ? Et, dans ce cas, Mitterrand a-t-il consenti à justifier son refus ? Sont-ils restés dans les non-dits ? Quoi qu’il en soit, lorsqu’il a quitté le 22 rue de Bièvre pour rejoindre le boulevard Saint-Germain, sous les applaudissements de quelques badauds, Rocard venait d’accepter d’être ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire.

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