Dis-moi si tu souris by Eric Lindstrom

Dis-moi si tu souris by Eric Lindstrom

Auteur:Eric Lindstrom [Lindstrom, Eric]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782092563281
Éditeur: Nathan
Publié: 2016-06-08T22:00:00+00:00


DIX-SEPT

DIX-SEPT

J’ai la sensation de tomber. On me dit que j’oscille peu, contrairement à beaucoup d’aveugles. Les gens ne se rendent pas compte à quel point la stabilité et l’immobilité dépendent non seulement de l’oreille interne, mais aussi de la possibilité de voir la pièce ou la ligne d’horizon. C’est peut-être parce que j’ai vu pendant les sept premières années de ma vie, ou à cause de la façon dont je suis devenue aveugle, mais je n’ai pas tellement l’impression de flotter.

Ou je ne l’avais pas jusqu’ici. Soudain, je suis déconnectée du sol. Je sais que j’étais en état de choc à la mort de mon père, et que quand j’en suis sortie, il s’était écoulé assez de jours pour que je puisse reprendre une vie plus ou moins normale, en tout cas en apparence. Je me demande si je ne suis pas à nouveau en état de choc, sous une forme différente. Quand mon père est mort, j’ai perdu mon principal repère, mais il me restait Sarah, et je me suis raccrochée à elle comme à une bouée de sauvetage. À quel point ma stabilité dépend-elle des gens auxquels je m’agrippe ? Bien plus que je ne le pensais, en tout cas, parce que maintenant que j’ai perdu mon dernier point d’ancrage, j’éprouve un vertige physique… une impression de flottement… et la sensation désagréable de tomber dans le vide.

Je ne peux pas appeler Faith. Enfin, je pourrais ; je n’ai pas de secrets pour elle et elle m’écouterait. Mais on ne sait plus grand-chose de nos vies respectives et ce serait trop long à lui raconter.

Le reste de la journée s’est déroulé… bah, bizarrement. Chaque instant est passé au ralenti, comme si la nuit n’allait jamais arriver, et quand elle est enfin tombée, j’ai eu l’impression que je n’avais pas vu filer la journée. J’ai surtout traîné avec Petey. J’ai joué à des jeux et regardé la télé avec lui comme une zombie. Quand mon portable a fait coin-coin vers neuf heures du soir, j’ai envoyé un message à Sarah pour lui dire que j’étais occupée avec Petey et qu’on pourrait parler le lendemain. Elle a juste répondu « OK ». Une réponse étonnamment succincte de sa part, sachant qu’on ne rate jamais nos rendez-vous téléphoniques du soir, que je suis souvent en train de jouer avec Petey à ce moment-là et que je ne me gêne pas pour le faire attendre.

Lundi, j’ai couru comme une patate. Sur le chemin du stade, j’ai marché à deux reprises sur l’herbe en bordure du trottoir, ce qui m’a obligée à ralentir pour rectifier ma trajectoire. Puis, pendant mon premier sprint, j’ai perdu le compte de mes pas. En réalité, je cours trop vite pour dire les nombres en entier ; je compte jusqu’à dix et je repars à un, en remplaçant dix par vingt, puis trente… Sauf que je ne savais plus si j’en étais à quarante ou à cinquante…

J’ai opté pour cinquante pour ne pas foncer dans le grillage. Mais quand



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