Demi-siècle (Littérature française) (French Edition) by Christian Authier

Auteur:Christian Authier [Authier, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2021-05-04T22:00:00+00:00

XVIII

Le soir du premier de l’An, Patrick avait fait promettre à Laurence qu’ils feraient un long voyage au printemps. Au moins deux semaines pour avoir le temps de goûter à des horizons lointains.

— Et le cabinet ? Quinze jours ? C’est impossible !

— Tu n’as jamais pris quinze jours de vacances ?

— Si, enfin non, pas à cette période.

— Tu veux partir en juillet ou en août avec tous les blaireaux ?

— Sûrement pas, mais je ne peux pas m’absenter autant.

— Tu n’as qu’à prendre des stagiaires pendant ton absence.

— Je suis avocat, c’est un cabinet sérieux, pas un journal où n’importe qui peut écrire sur n’importe quoi…

— Je te remercie. Tu crois que je ne vais pas devoir travailler dur en amont avant de partir quinze jours ?

— Enfin, ce n’est pas pareil ! Tu ne peux pas comparer…

Ils argumentèrent, avancèrent leurs pions, transigèrent, proposèrent d’autres options dont « une semaine en avril et une semaine en juin » pour Laurence. Des diplomates n’auraient pas fait mieux. Le choix des destinations pesa dans la balance. Laurence avançait l’Espagne, l’Italie, Lisbonne ou « un long week-end à Marrakech ». Patrick rétorquait par Sao Tomé, Buenos Aires avec un détour par Montevideo, Istanbul et Beyrouth. À la fin de la joute, il avait emporté le morceau. Même face à un avocat aguerri, n’hésitant pas à convoquer la mauvaise foi et des contrevérités éhontées, il ne se défendait pas mal. Laurence avait rendu les armes et accepté un séjour de deux semaines à Istanbul et à Beyrouth.

— En plus, c’est sur le chemin, fanfaronna Patrick, heureux de sa victoire.

— Ne te moque pas de moi.

Ils firent la paix en s’embrassant. Il y avait des motifs de fâcherie plus graves. Patrick avait finement joué sur le tropisme stambouliote de Laurence, sachant qu’elle avait une grande envie de découvrir cette ville. Lui y avait passé quatre jours cinq ans auparavant lors d’un voyage de presse. Ce fut court et dense avec tous les passages obligés qu’impliquait une telle opération visant à obtenir en retour des publi-reportages déguisés dans les médias respectifs des journalistes invités : la Citerne, le Grand Bazar, Sainte-Sophie, la Mosquée bleue, Süleymaniye, Topkapi, le Bosphore, la tour de Galata, le palais de Dolmabahce… Les journalistes n’avaient pas chômé, mais Patrick avait réussi à se dégager des moments hors du circuit imposé, notamment pour voir Stéphane qui vivait à Istanbul depuis six ans. Ils s’étaient rencontrés étudiants par des amis communs. Grand, mince, les cheveux mi-longs, la démarche souple et nerveuse, Stéphane semblait alors sortir d’un livre de Stendhal. Sur son manteau noir, ses blousons ou ses vestes, il arborait une broche fleur-de-lysée renforçant le sentiment que ce jeune romantique s’était trompé d’époque. À la fin de ses études de droit, il partit à Londres pour travailler dans une banque d’affaires. S’étiolant dans la City, il prit le large, arpenta la Russie postcommuniste et les Balkans en guerre, marcha sur les pas de Rimbaud jusqu’en Abyssinie tout en suivant des études d’histoire. Ils se recroisèrent quand Patrick fit ses débuts à L’Hebdo où

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