Contes cruels by Auguste Villiers de l’Isle-Adam

Contes cruels by Auguste Villiers de l’Isle-Adam

Auteur:Auguste Villiers de l’Isle-Adam [Villiers de l’Isle-Adam, Auguste]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Relato, Fantástico, Sátira
Éditeur: ePubLibre
Publié: 1883-01-01T00:00:00+00:00


Garanti du soupçon par la grandeur du crime!

»C’est dit. Et maintenant —acheva le grand artiste en ramassant un pavé après avoir regardé autour de lui pour s’assurer de la solitude environnante—, et maintenant, toi, tu ne refléteras plus personne.

Et il lança le pavé contre la glace qui se brisa en mille épaves rayonnantes.

Ce premier devoir accompli, et se sauvant à la hâte —comme satisfait de cette première, mais énergique action d’éclat—, Chaudval se précipita vers les boulevards où, quelques minutes après et sur ses signaux, une voiture s’arrêta, dans laquelle il sauta et disparut.

Deux heures après, les flamboiements d’un sinistre immense, jaillissant de grands magasins de pétrole, d’huiles et d’allumettes, se répercutaient sur toutes les vitres du faubourg du Temple. Bientôt les escouades des pompiers, roulant et poussant leurs appareils, accoururent de tous côtés, et leurs trompettes, envoyant des cris lugubres, réveillaient en sursaut les citadins de ce quartier populeux. D’innombrables pas précipités retentissaient sur les trottoirs: la foule encombrait la grande place du Château-d’Eau et les rues voisines. Déjà les chaînes s’organisaient en hâte. En moins d’un quart d’heure un détachement de troupes formait cordon aux alentours de l’incendie. Des policiers, aux lueurs sanglantes des torches, maintenaient l’affluence humaine aux environs.

Les voitures, prisonnières, ne circulaient plus. Tout le monde vociférait. On distinguait des cris lointains parmi le crépitement terrible du feu. Les victimes hurlaient, saisies par cet enfer, et les toits des maisons s’écroulaient sur elles. Une centaine de familles, celles des ouvriers de ces ateliers qui brûlaient, devenaient, hélas!, sans ressource et sans asile.

Là-bas, un solitaire fiacre, chargé de deux grosses malles, stationnait derrière la foule arrêtée au Château-d’Eau. Et, dans ce fiacre, se tenait Esprit Chaudval, né Lepeinteur, dit Monanteuil; de temps à autre il écartait le store et contemplait son œuvre.

—Oh! —se disait-il tout bas—, comme je me sens en horreur à Dieu et aux hommes! Oui, voilà, voilà bien le trait d’un réprouvé!…

Le visage du bon vieux comédien rayonnait.

—Ô misérable! —grommelait-il—, quelles insomnies vengeresses je vais goûter au milieu des fantômes de mes victimes! Je sens sourdre en moi l’âme des Néron, brûlant Rome par exaltation d’artiste!, des Érostrate, brûlant le temple d’Ephèse par amour de la gloire!…, des Rostopschine, brûlant Moscou par patriotisme!, des Alexandre, brûlant Persépolis par galanterie pour sa Thaïs immortelle!… Moi, je brûle par DEVOIR, n’ayant pas d’autre moyen d’existence! J’incendie parce que je me dois à moi-même!… Je m’acquitte! Quel Homme je vais être! Comme je vais vivre! Oui, je vais savoir, enfin, ce qu’on éprouve quand on est bourrelé. Quelles nuits, magnifiques d’horreur, je vais délicieusement passer!… Ah!, je respire!, je renais!…, j’existe!… Quand je pense que j’ai été comédien!… Maintenant, comme je ne suis, aux yeux grossiers des humains, qu’un gibier d’échafaud, fuyons avec la rapidité de l’éclair! Allons nous enfermer dans notre phare, pour y jouir en paix de nos remords.

Le surlendemain au soir, Chaudval, arrivé à destination sans encombre, prenait possession de son vieux phare désolé, situé sur nos côtes septentrionales: flamme en désuétude sur une bâtisse en ruine, et qu’une compassion ministérielle avait ravivée pour lui.



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