Conservatisme by Roger Scruton

Auteur:Roger Scruton [Scruton, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
ISBN: 9782226430557
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2018-05-01T22:00:00+00:00

C’est à travers l’œuvre d’Eliot que le conservatisme culturel a pénétré en profondeur l’enseignement britannique. Les écrits du critique littéraire F. R. Leavis (1895-1978), notamment Education and the University 65, et la revue qu’il fonda en 1933, Scrutiny, y ont grandement contribué. Contre la pensée « techno-benthamienne » qui avait tant endommagé à ses yeux l’héritage culturel du pays depuis la Révolution industrielle, Leavis défendait l’enseignement de l’anglais. Parce que l’anglais n’est pas seulement le véhicule d’une culture instinctive, son étude devait embrasser une vaste réflexion critique sur la « grande tradition » de la littérature anglaise et prendre une place centrale dans l’éducation des hommes. Elle devait offrir aux étudiants un moyen de retourner vers le passé, vers les communautés organiques que la conspiration des utilitaristes et des savants avait marginalisées, et ouvrir l’esprit des jeunes gens à ce qui compte vraiment dans le monde moderne, c’est-à-dire la pérennité de la « vie ressentie » telle que la décrit Henry James : une ressource qui abonde dans les grandes œuvres de notre tradition. Au lecteur, la véritable littérature ne se contente pas, ainsi que le fait la culture populaire, de donner un substitut sentimental de la vie (comme le supposait Leavis), elle offre la vie elle-même, immédiatement, dans toute sa sincérité, imprégnée de l’esprit de la terre.

Leavis n’était pas un homme religieux, il se méfiait du virage anglo-catholique d’Eliot et refusait catégoriquement de se dire conservateur. Ses principaux écrits – New Bearings in English Poetry (1932), Revaluation (1946) et The Great Tradition (1948)66 – ne laissent cependant pas de doute sur son orientation : ils font vibrer les mêmes cordes que Coleridge, Ruskin, Arnold et Eliot. Pour toute une génération d’enseignants anglais et écossais, leur influence a été considérable : pendant un temps, le « leavisme » est devenu un mouvement identifiable dans les écoles britanniques. L’enseignant leaviste était un juge sévère, facilement choqué par tout manquement à l’orthodoxie. Il était mû par l’urgence de transmettre une sorte de vision puritaine des gens du peuple et de leur culture, louant Bunyan, Wordsworth et D. H. Lawrence qui étaient, selon lui, les représentants et les authentiques héritiers des pays anglophones.

Malgré son importance en Grande-Bretagne et dans l’Empire, le conservatisme culturel ne s’est pas confiné à la sphère anglophone. La réaction contre la philosophie des Lumières a été ressentie partout en Europe, notamment dans les pays de langue allemande où le nationalisme romantique a fini par dominer la vie culturelle à partir du milieu du xixe siècle. La figure tutélaire de cette réaction romantique est Johann Gottfried von Herder (1744-1803), le véritable inspirateur de la conception « leaviste » de la langue comprise comme véhicule des expériences communes et de l’identité historique d’un peuple.

Les écrits de Herder qui, jeune homme en 1762, a suivi les cours de Kant à Königsberg, sont, pour partie, une réaction à la vision politique libérale du philosophe. Selon Kant, les Lumières marquent la venue à maturité de l’homme, un moment de libération de l’individu des prisons

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