Confiteor by Jaume Cabré

Auteur:Jaume Cabré
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2013-06-03T04:00:00+00:00

31

Huitième arrondissement ; quarante-huit rue Laborde. Un immeuble d’appartements plutôt triste et à la façade noircie par la fumée. Il appuya sur le bouton et la porte s’ouvrit en faisant un bruit sec, prémonitoire. Sur les boîtes aux lettres, il vérifia qu’il devait monter jusqu’au sixième étage. Il préféra le faire à pied plutôt qu’en ascenseur, pour dépenser toute l’énergie accumulée, produite par la panique. Lorsqu’il arriva en haut, il resta quelques minutes sur le palier pour calmer les battements de son cœur et sa respiration. Il appuya sur la sonnette qui fit bzsbzsbzsbzs, comme si elle voulait préserver le mystère. Le palier était assez sombre et personne n’ouvrait la porte. Des pas légers ? Oui ? La porte s’ouvrit.

— Bonjour.

En me voyant, tu es restée la bouche ouverte, une expression figée sur le visage. Tu n’imagines pas le coup au cœur que ça me fit de te revoir après tant d’années, Sara. Tu avais grandi ; je ne veux pas dire plus que tu étais vieillie, mais plus grande, oui, et toujours aussi belle. Plus sereinement belle. Et alors je pensai que personne n’avait le droit de nous voler notre jeunesse comme on l’avait fait. Derrière toi, sur une console, un bouquet de très belles fleurs, mais dont la couleur me parut très triste.

— Sara.

Elle ne disait toujours rien. Bien sûr qu’elle m’avait reconnu, mais elle ne m’attendait pas. Je n’arrivais pas au bon moment ; je n’étais pas le bienvenu. Je m’en vais, je reviendrai plus tard, je t’aime, je voudrais, je veux te parler de… Sara.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Comme le vendeur d’encyclopédies qui sait qu’il dispose d’une demi-minute pour délivrer le message qui empêchera le client sceptique de lui fermer la porte au nez, Adrià ouvrit la bouche et gâcha treize secondes avant de lui dire on nous a trompés, on t’a trompée ; tu t’es enfuie parce qu’on t’a dit des choses horribles sur moi. Des choses fausses. Et des choses horribles sur mon père. Des choses vraies.

— Et la lettre que tu m’as envoyée pour me dire que j’étais une saloperie de juive et que je pouvais faire des confitures avec ma famille de merde et ses prétentions, hein ?

— Je ne t’ai envoyé aucune lettre ! Tu me connais, pourtant !

— Non.

L’encyclopédie est un outil indispensable à toute famille qui s’intéresse à la culture, comme c’est votre cas, madame.

— Sara, je suis venu te dire que tout ça était un coup monté de ma mère.

— À la bonne heure. Et cela fait combien de temps ?

— De nombreuses années ! Mais je ne l’ai appris qu’il y a cinq jours ! Le temps que j’ai mis à te retrouver ! C’est toi qui as disparu !

Un ouvrage de ce genre est toujours utile, pour votre mari comme pour vos enfants. Vous avez des enfants, madame ? Vous avez un mari ? Tu t’es mariée, Sara ?

— Je pensais que tu t’étais enfuie parce que tu avais des problèmes, et personne n’a voulu me dire où tu étais.

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