Bientôt viendront les jours sans toi by Trueba David

Auteur:Trueba, David [Trueba, David]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: FLAMMARION
Publié: 2018-09-03T22:00:00+00:00

et c’était pour moi une surprise d’entendre ma voix sans celle de Gus. C’était une autre tessiture, une autre gravité. Ramón a fait une première prise, sans arrangements, et nous avons attendu le retour d’Oliva avec Bambi pour avoir son avis. Elle m’a regardé avec approbation, c’est bien, a-t-elle dit. J’ai découvert alors une profonde tristesse dans son regard, mais je l’ai attribuée à la chanson. Tandis que nous travaillions, Bambi jouait dans un coin et nous ignorait. À un moment, il s’est approché du distributeur de boissons et a apporté une bouteille d’eau à Oliva, puis m’a tendu une canette de Coca. Pour moi ? me suis-je étonné. Tu sais bien que je ne bois jamais de Coca. C’était un boycott fondamentaliste qui me restait de l’anti-impérialisme de mon adolescence. Ramón a hoché la tête avant de m’expliquer qu’il m’avait confondu avec Fran, comme il vient parfois avec Oliva. J’ai regardé Oliva et soudain j’ai compris. Fran, contrairement à moi, était accro au Coca. Je me suis efforcé de ne rien montrer devant Ramón et Bambi, qui me regardait sans comprendre pourquoi je ne prenais pas la boisson. L’idée qu’Oliva sorte dans mon dos avec Fran ou qu’ils viennent ensemble au studio voir Bambi m’a rempli d’inquiétude. Les yeux d’Oliva m’ont confessé le reste.

Je me suis demandé parfois si cela n’avait pas été un mécanisme de compensation à cause du succès du groupe, donnant donnant. Nous étions devenus de grands enfants qu’on payait pour jouer, étourdis par les ventes, les fans. Mon père avait peut-être raison quand il nous voyait éclater de rire et réagir bruyamment à une bêtise, profitez, profitez, vous le paierez un jour, nous disait-il. En une seconde, j’ai repassé dans ma tête les derniers mois avec Oliva et constaté le contraste avec une époque plus heureuse et plus intense de notre vie. Nous ne partagions plus autant de choses, ne faisions plus l’amour au moindre contact, je ne la consultais plus pour chaque détail, elle ne me confiait plus sans arrêt ses doutes professionnels. Je n’étais plus aussi impatient, après les concerts, de retrouver sa compagnie. Comme je l’avais été après avoir découvert les papiers de mon adoption, je suis devenu l’espion de ma propre vie, m’efforçant de comprendre qui j’étais à travers le comportement des gens autour de moi. D’assembler, à travers le chaos, les pièces du puzzle qui me formaient. Et ce que j’ai trouvé m’a désarmé.

Quand nous sommes rentrés à la maison ce soir-là, Oliva s’est aussitôt mise à pleurer sur le canapé, ce n’est pas ce que tu crois, sans réussir à expliquer ce qu’elle éprouvait pour Fran. Les jours suivants, j’ai essayé de la consoler, moi qui étais inconsolable. Tant qu’on n’a pas dit tout va bien, ce n’est pas grave, à la personne qu’on aime et qu’on est en train de perdre, on ne sait pas ce qu’est l’amour. J’ai fait en sorte que la fin de notre histoire conserve la délicatesse qu’avait toujours eue notre relation, et je n’ai rien voulu savoir de Fran, ne l’ai pas appelé, n’ai pas souhaité parler avec lui.

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