Bariloche by Andrés Neuman

Auteur:Andrés Neuman [Neuman, Andrés]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature argentine
ISBN: 9782283031124
Google: Hn02DwAAQBAJ
Éditeur: Buchet-Chastel
Publié: 2017-10-04T22:00:00+00:00

XXXVII

La fumée s’enchevêtrait comme du lierre translucide. Quand ils soufflaient dessus, les volutes menaçaient de fuir, épouvantées, et reformaient aussitôt une colonne qui poursuivait son ascension avec indifférence.

La cigarette qui pointait sa tête incandescente entre les doigts de Verónica avait bientôt fini de se consumer. Ils gisaient nus. Allongés sur le dos, contemplant le fragment de plafond sublimé par la lumière, ils ne se regardaient pas. On n’entendait pas non plus leurs voix. Ils respiraient au rythme de la fumée.

Dans la chambre, on ne distinguait qu’une chaise près du lit, des vêtements d’homme posés sur son dossier et, au fond, des rideaux diaprés de la lueur anémique de la rue. Le reste demeurait dans la pénombre, hormis une chaussure de femme et un bout de tapis souligné par le rai lumineux qui se glissait sous la porte.

Demetrio commença à songer à l’heure, au fait que bientôt les enfants de Verónica devraient quitter l’anniversaire de leur petit camarade, qu’il avait envie de faire du puzzle chez lui au lieu de rester là, en silence et à poil. Faudrait que t’y ailles, dit-il sur un ton plus froid que prévu, tu vas te mettre en retard. Elle sembla retenir son souffle jusqu’à la bouffée suivante ; elle expira la fumée et la regarda s’évanouir, puis elle décolla les lèvres en produisant un léger claquement. Je sais, je te signale que ce sont mes enfants, au cas où tu l’aurais oublié.

Verónica bascula vers le bord du lit, écrasa son mégot dans le cendrier en verre gravé d’un emblème médiéval, posé sur la table de nuit. Bon, je vais me rhabiller, murmura Demetrio en retardant le moment de se lever. Il est la demie, répliqua-t-elle, si je prends un taxi, j’ai largement le temps, allez, viens, approche, qu’on reste collés encore dix minutes, ça ira. Oui, Véro, mais je ne vois pas l’intérêt d’attendre la dernière minute alors que tu sais très bien comment ça se passe, on est obligés de se presser, on stresse, toujours le même cirque. Oui, mais peut-être que le problème, c’est que je ne te vois pas souvent, alors j’aime bien en profiter le plus possible, même si je dois stresser et me dépêcher après, tu comprends ? Écoute, ma caille, qu’est-ce que tu veux que je te dise, je ne vois pas en quoi grappiller dix minutes pour ensuite filer prendre un taxi, ça s’appelle en profiter le plus possible ; et quand tu dis qu’on ne se voit pas beaucoup, tout est relatif. C’est bizarre que tu tiennes jamais ce discours avant qu’on se mette au pieu, quand t’as le bâton sous le froc. Et si je le tenais, il se passerait quoi ? T’es pas assez viril pour ça. Parce que ton mari, il est viril, lui, dans ce cas je ne comprends pas pourquoi tu le trompes avec moi. T’es vraiment un gros enfoiré, Demetrio. Allez, ma petite caille, tu vas te mettre en retard.

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