Balthazar by Inconnu(e)

Balthazar by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-03-09T07:41:47+00:00


VII

J’en arrive maintenant à une autre partie du Commentaire, au passage que Balthazar a intitulé : « Et Narouz se décida à passer à l’action », en soulignant le dernier mot de deux gros traits. Le reconstituerai-je ? Je vois si clairement la scène qu’évoquent quelques lignes de son écriture renfrognée, à l’encre verte, qui ont explosé dans mon imagination… Oui, cela me permettra de rêver un moment à ce quartier peu fréquenté d’Alexandrie, que j’aimais.

La ville, habitée par ces souvenirs qui me restent, ne plonge pas seulement dans le passé de notre Histoire, étayée par les grands noms qui marquent chaque station de la chronique, mais se déploie aussi en arrière et en avant du temps présent en quelque sorte – dans le dédale de ses croyances et de ses races contemporaines ; les centaines de petites sphères enfantées par la religion ou le savoir qui s’agglutinent mollement comme des cellules pour former cette grosse méduse déployée qu’est l’Alexandrie d’aujourd’hui. Ainsi unies, fortuitement, de par la volonté de la ville, isolées sur un promontoire schisteux dominant la mer, sans autre rempart que le miroir lunaire de Mareotis, le lac salé, et, au-delà, l’infinitude d’un désert déchiqueté (maintenant doucement caressé par les souffles du printemps, plissé en dunes de satin, informe et magnifique comme un champ de nuages), les communautés se perpétuent et communiquent – les Turcs avec les Juifs, les Arabes, les Coptes et les Syriens avec les Arméniens, les Italiens et les Grecs. La brise incessante des transactions commerciales ondule de l’une à l’autre comme un frisson qui parcourt un champ de blé ; les cérémonies, les mariages et les pactes les unissent et les divisent. Même les noms des arrêts de trams – antiques véhicules bringuebalant dans leurs rails ensablés – évoquent les noms oubliés de leurs ancêtres, et les noms des premiers capitaines qui débarquèrent sur cette côte, d’Alexandre à Amr, les pères de cette anarchie de la chair et de la fièvre, de l’amour vénal et du mysticisme. Quelle autre ville au monde peut offrir un tel amalgame ?

Et quand tombe la nuit, et que la blanche cité allume les mille candélabres de ses parcs et de ses édifices, tandis que par la bouche d’innombrables postes de radio se déversent les rythmes mystérieux du Maroc ou du Caucase, elle ressemble à un grand paquebot de cristal amarré à la corne de l’Afrique – ses reflets de diamant et de girasol s’enfonçant comme des vrilles de métal poli dans les eaux huileuses de la rade entre les navires de guerre.

À la nuit tombante elle peut devenir semblable à une jungle mauve anomale, éclaboussée de couleurs comme par les débris d’un prisme fracassé ; et, dans le ciel palpitant de chaleur, les flèches et les minarets s’élancent en tremblant à l’assaut du soir comme de géantes tiges de fenouil émergeant d’un marécage au-dessus des longues lignes pâles de la côte et des cafés barbares où les nègres dansent au son des petits tambours de terre cuite ou des clarinettes minaudant inlassablement.



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