Au cœur des montagnes: Recueil de nouvelles (French Edition) by unknow

Auteur:unknow
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2019-12-04T00:00:00+00:00

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Les premières neiges ont tardé, mais ne quittent plus le ciel savoyard depuis deux semaines. Le sol en plaine est désormais tapissé d’une couche d’or blanc, naturel, suffisamment épaisse pour envisager une belle saison hivernale. Si je m’en réjouis, comme l’ensemble de la station, la tempête qui sévit depuis quelques jours me garde enfermée à 2 130 m d’altitude. À l’abri et bien au chaud, mais loin de mon bel inconnu, que je me languis de revoir.

Mes réserves s’amenuisent, et je serai à court de nourriture dans deux jours ; il me faudra bien, alors, m’aventurer à l’extérieur si je ne veux pas mourir de faim. Si la tempête persiste, je n’aurai d’autre choix que de faire appel à Maurice, le père de Bastien, qui n’a reçu aucune des nombreuses qualités de son paternel en héritage génétique. Maurice, c’est un homme bien de chez nous : un physique de bûcheron, des principes bien ancrés et le sens de l’honneur chevillé au corps. Un bonhomme, un vrai, comme on dit ici. Et l’unique possesseur d’une motoneige dans la petite station familiale.

Mon bonhomme à moi, le seul qui m’obsède désormais, n’apparaît qu’aux premiers flocons. La neige est son oxygène. Je me demande justement ce qui occupe les siennes, de pensées. Lui qui nous rend visite chaque année, sans jamais prononcer le moindre mot. Certains ont bien essayé de lui arracher quelque secret, de percer le mystère qui l’entoure. Que fait-il de ses journées solitaires ? Dans le microcosme de notre petite station, il est l’attraction principale malgré les touristes qui doublent nos effectifs.

La météo m’a privée de l’inauguration en grande pompe pour célébrer l’ouverture officieuse au public, hier soir. Les premiers skieurs n’arriveront que la semaine prochaine : celle qui vient nous est réservée, à nous, les locaux. Tandis que je m’accroche fébrilement à la taille de Maurice, j’imagine sans peine l’alcool coulant à flots quelques heures plus tôt, et je me demande s’il est bien raisonnable de me laisser conduire par cet homme possiblement en état d’ébriété résiduelle. Mais je n’ai d’autre choix que de lui faire confiance. Alors je me concentre sur les vibrations de sa motoneige qui secouent la cellulite massée dans mon arrière-train ; je m’imagine en pleine session de ces machines miraculeuses qui prétendent affiner la silhouette en quelques séances. Oui, je dois l’admettre, j’ai cédé à tous ces miroirs aux alouettes qui promettent un régime sans sacrifices et surtout, surtout, sans effort ; je parle donc en connaissance de cause. J’ai fait mon deuil du corps idéal, celui que mon addiction alimentaire m’interdit. Les hommes sont la seule gourmandise dont Bastien a réussi à me dégoûter, ce qui ne change rien à mon bilan calorique journalier. Alors pourquoi suis-je aussi attirée par mon bel inconnu ?

— Je passe te prendre dans deux heures, ça te va, ma jolie ?

— C’est parfait, Maurice, comme toujours.

Je profite qu’il enlève son casque pour lui claquer un bisou vigoureux sur la joue. Il est le père que je n’ai pas eu. Il aurait pu, dû, le devenir.

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