Après moi le désert by Olivier Bodart

Auteur:Olivier Bodart [Bodart, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française, Roman
Éditeur: Inculte
Publié: 2023-01-03T23:00:00+00:00

Mardi 31 mars 2020

24

Je fus réveillé tôt le lendemain par un grattement au bas de la porte. Sans doute un animal qui cherchait à se frayer un passage. J’avais été tiré du sommeil de nombreuses fois durant la nuit par des clameurs variées qui m’avaient fait l’impression d’un dortoir de prison. Il ne faisait pas encore jour et, en voyant le plafond grillagé au-dessus de ma tête, je mis un certain temps à comprendre où je me trouvais et pourquoi j’étais là. En me redressant sur la banquette, je sentis un poids remonter le long de mon corps jusqu’à l’arrière du crâne. Je savais que cette tension allait m’accompagner tout au long de la journée. Ma chemise était poisseuse et commençait à empester. Ma voiture allait-elle redémarrer ? Et qu’allais-je donc faire ensuite ? Me résigner à rentrer chez moi et rester immobile dans cette ruine ? Jusqu’à quand ? La pensée même d’une période d’inertie sans échéance m’agita aussitôt, je me levai et me mis à faire les cent pas dans la salle de lecture. Le seul objectif qui me tenait encore était de dénicher une adresse à mon nom. Malgré l’interdiction de se déplacer, malgré l’infime probabilité de réussir. Il n’y avait plus que cela qui comptait sur le moment. Au moins ce défi me mettait en mouvement, je continuerais donc ma quête vers la frontière mexicaine.

En sortant le plus discrètement possible de la bibliothèque, je vis de l’autre côté de la rue un coyote qui léchait le fond d’une bassine en étain. C’était l’heure des bêtes, pas encore celle des humains, dont très peu ici travaillaient. À ma vue, l’animal s’éloigna, sans grande précipitation. Le soleil allait réapparaître dans un peu plus d’une heure, ce qui me laissait un peu de répit avant que la fournaise ne s’installe à nouveau. J’essayai de me représenter ce que pouvait être une journée type ici. Se ravitailler en eau, en nourriture, se protéger de la chaleur, ne pas se mêler des histoires des autres. Effectuer chacun des gestes nécessaires à sa survie.

À mon grand soulagement, le moteur du break démarra à la deuxième tentative. Le véhicule gravit la butte sans difficulté et se remit lentement en route le long de Rosalie Drive. Je franchis le même portail que la veille et quittai Slab City par le haut. Je retrouvai le canal au niveau du Siphon 8 et repris mon itinéraire à l’endroit où je l’avais interrompu une dizaine d’heures plus tôt, longeant le même talus qui fuyait en diagonale vers le sud. J’ignorais jusqu’où pouvait me mener cette route si pratique pour me dissimuler, car je n’avais toujours pas de réseau. Mais je savais que c’était la direction du Mexique et, pour l’heure, c’était tout ce qui comptait.

Je gardai le phare avant éteint et me laissai guider par la seule présence de la butte. Je me sentais protégé par cette masse sombre et par les derniers instants de la nuit. Je me mis à repenser à Lincoln et à ce qu’il avait pu abandonner derrière lui en venant enterrer son passé dans ce coin du désert.

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