Anima by Onfray Michel

Auteur:Onfray Michel
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2023-03-21T10:10:57+00:00

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Le cartésianisme contre Descartes

Cerner l’esprit

La prudence de Descartes est légendaire. Fut-elle juste et fondée ? excessive ou pathologique ? Difficile de répondre clairement tant l’embrouille se trouve bien conduite. Rappelons tout de même que, pour leurs idées, Giordano Bruno monte sur le bûcher, sur le Campo dei Fiori à Rome, en 1600, Vanini se fait arracher la langue, étrangler et brûler à Toulouse en 1619, Galilée se voit condamné par l’Inquisition et assigné à résidence en 1633. Voilà de quoi tempérer les ardeurs des plus intrépides.

Descartes aborde à plusieurs reprises la condamnation de Galilée dans sa correspondance avec Mersenne. Compte tenu des ennuis de l’auteur du Dialogue des deux grands systèmes du monde, il décide de renoncer à la publication de ses travaux scientifiques. Apprenant les malheurs de l’homme de science, il écrit : « Je me suis quasi résolu de brûler tous mes papiers, ou du moins de ne les laisser voir à personne. » Puis ceci : « Je ne voudrais pour rien au monde qu’il sortît de moi un discours où il se trouvât le moindre mot qui fût désapprouvé de l’Église, aussi aimai-je mieux le supprimer, que de le faire paraître estropié » (Lettre 28). Courageux, mais pas téméraire.

Dans ses lettres à Henricus Regius, Descartes ne cesse d’inviter son interlocuteur à la prudence. Il faut ménager le pouvoir, la Sorbonne, les théologiens, les chrétiens, le Vatican. En ce qui le concerne, il souhaite éviter également de froisser les autorités de la ville d’Utrecht. Ne pas dire le contraire de ce qu’on pense, bien sûr, mais le formuler avec assez de circonspection et de précaution pour que les puissants n’y trouvent rien à redire. Si Descartes c’est la France, comme il fut beaucoup dit à partir de Victor Cousin, Descartes ce fut aussi très souvent de la poltronnerie, ce qui ne va pas sans une certaine couardise. Un siècle plus tôt, en pleine guerres de Religion, il n’y a pas chez Montaigne ce genre de dissimulation.

Abordons la question de ce qu’il est convenu de nommer la « querelle d’Utrecht ».

Henricus Regius est un médecin néerlandais né et mort à Utrecht – on le connaît sous son nom francisé : Henri Le Roy. Il est médecin, mais il enseigne également la médecine et la botanique à l’Université d’Utrecht. Il correspond avec Descartes et commence sa carrière en allié du philosophe ; il la poursuit en adversaire ; il la termine en ennemi. Il ferraille en effet contre lui sur les questions de la nature substantielle de l’âme, des idées innées, de la liaison accidentelle de l’âme et du corps. Marx et Engels écrivent dans La Sainte Famille que ce penseur méconnu fonde la philosophie matérialiste française. On ne s’étonne pas que, de ce fait, la tradition philosophique néglige cet homme pourtant majeur dans l’histoire de la philosophie française : il constitue le maillon entre la philosophie cartésienne, idéaliste et compatible avec le christianisme et la philosophie matérialiste dont les attendus atomistes s’avèrent incompatibles avec les enseignements de l’Église catholique.

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