Alma, le vent se lève by Timothée de Fombelle

Auteur:Timothée de Fombelle [Fombelle, Timothée de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
ISBN: 9782075139120
Éditeur: Gallimard Jeunesse
Publié: 2020-03-06T00:00:00+00:00

Dès le lendemain, La Douce Amélie jette à nouveau l’ancre avec de grands espoirs. Sur les sept cents kilomètres de la côte de l’Or, Cape Coast est le plus important des forts appartenant à l’Angleterre. Posé sur son rocher battu par les vagues, il est entouré d’une nuée de pirogues qui vont et viennent au milieu de quelques bricks ou trois-mâts affamés qui attendent derrière la barre.

C’est à Cape Coast que Gardel réussit à conclure ses premières vraies affaires. Les prix sont trop hauts, la concurrence est rude, mais il faut bien commencer à remplir les cales.

D’ailleurs, le bateau est enfin prêt à accueillir son chargement. Dans la nuit, avec les planches de bois trouvées à Elmina, Poussin et Joseph ont terminé la barricade qui partage en deux le pont du navire. Percée de deux petites portes, cette palissade placée juste devant le grand mât est coiffée de pointes et de lames.

Sept hommes et une femme viennent d’être achetés par Gardel. D’abord parqués dans une paillote sur la plage, ils sont embarqués le lendemain. Quand ils approchent de La Douce Amélie, ils découvrent avec stupeur l’unique captif assis tout seul, derrière une barrière démesurée, et les quarante hommes qui le surveillent. On fait monter la femme sur le gaillard d’arrière. On décide de l’inscrire dans les cahiers sous le nom d’Ève.

Adam et Ève ! Sur tous les navires, le jeu sur les noms qu’on invente aux captifs donne toujours une joie rare aux marins. Ils frappent dans leurs mains et se sentent si drôles, si puissants et si savants. Mais, pour Jacques Poussin qui regarde de loin ce spectacle, rien n’est plus terrible que de faire comme si cet homme et cette femme venaient d’être créés. Comme s’ils n’existaient pas avant et qu’ils n’avaient jamais eu de nom, ni de terre. En les appelant Adam et Ève, on fait semblant de leur donner naissance alors qu’on a détruit tout ce qu’ils étaient.

Joseph est perché dans la mâture. Tout en bas, il voit la femme, seule sur le gaillard, debout, tendue, prête à se battre. Elle vient de mordre le poignet du matelot qui veut la faire asseoir. Une pluie de coups lui tombe dessus. Elle découvre l’arme qui régnera sur sa vie : le « chat à neuf queues », ce fouet à neuf lanières terminées par de petits nœuds serrés.

Les autres captifs ne peuvent même pas être témoins de la bravoure de cette femme. Ils sont de l’autre côté de la barricade, serrés autour de celui que les Blancs appellent Adam. Bientôt, ils devront aussi oublier la lumière et l’air. On les enfermera dans l’entrepont.

La pirogue qui a conduit les captifs à bord est amarrée le long du navire. Joseph croise le regard de Mosi qui s’éloigne avec l’autre pirogue. Il emmène le cuisinier Cook qui a convaincu Gardel qu’en allant parler aux bateaux voisins, il pourrait échanger ses fèves et son riz contre de la nourriture fraîche. Les cages à poules sont vides depuis un mois, les cochons se sont envolés, et on mange de plus en plus mal à bord.

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