Aline by Charles Ferdinand Ramuz

Aline by Charles Ferdinand Ramuz

Auteur:Charles Ferdinand Ramuz [Ramuz, Charles Ferdinand]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Roman, Littérature suisse romande et des régions voisines, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2018-03-29T00:00:00+00:00


IX

Quand Aline vit son malheur, elle n’y voulut pas croire. C’est ainsi que les petites filles qui ont peur de la nuit se cachent sous les couvertures. Elle s’était accrochée à tous les petits espoirs qu’il y avait sous sa main ; ils avaient cassé l’un après l’autre comme des branches sèches. On n’a pas même le temps de bien s’aimer ; le temps de s’aimer est comme un éclair.

L’automne s’était posé à la cime des arbres et les feuilles touchées jaunirent. Elles ressemblaient dans les branches à de jolis oiseaux clairs qui vont s’envoler. La lumière adoucie était molle comme un fruit trop mûr. Les chiens bâillaient en s’étirant dans la cour déserte des fermes. Vers le soir, les fumées des feux de broussailles traînaient sur les champs comme des chenilles.

Aline éprouvait qu’il est quelquefois tellement difficile de vivre qu’on aimerait mieux en finir tout de suite. On fermerait les yeux et on se laisserait aller comme la feuille dans le ruisseau. Mais elle songeait : « Ce n’est pas possible que ce soit pour toujours. » Elle séchait ses larmes, elle relevait la tête.

Un matin, la petite infirme mourut. Elle était dans sa charrette à roues de bois comme d’habitude ; à midi, on la trouva froide ; elle était morte sans que personne s’en doutât, on n’avait rien entendu, elle n’avait même pas bougé. Et on dit : « Comme ça se fait ! Enfin, à présent, au moins, elle ne souffrira plus. » Mais Aline comprit que c’était un signe pour elle.

Il vint de grandes pluies. Le temps était ainsi cette année-là. L’averse était comme des ficelles tendues ; le vent, pareil à une main, sautait de l’une à l’autre en les courbant et les brouillait ; on ne voyait plus rien qu’une sorte de toile grise qui se soulevait par moment, découvrant un coin de bois noir et triste au fond de la prairie.

Parfois Henriette, sa jupe relevée par-dessus la tête, courait mettre une seille sous la gouttière. Aline pensait : « Ah ! oui, c’est maman qui porte la seille. » Et Henriette se secouait dans la cuisine, en disant : « C’est plus un jardin, c’est un lac. »

Alors, durant la nuit, la maison repliait son toit comme des ailes, se faisant petite sous le ciel ; les nuages glissaient sur la lune ; elle se montrait un instant et semblait fuir. Et Aline voyait sa clarté vaciller et s’éteindre parmi le vent à sa fenêtre, car elle ne dormait pas.

Son chagrin l’empêchait de dormir. Elle cherchait tout le long des heures, dans sa tête, reprenant les jours un à un, comme un collier qu’on égrène. Elle n’accusait pas Julien, c’était elle qu’elle accusait. Un jour, elle avait un peu boudé, les garçons n’aiment pas qu’on boude. « Julien se sera fâché, mais il n’a rien dit, parce qu’il ne dit rien. » « Et puis, le soir de la danse, qu’est-ce qu’il a eu de ne plus vouloir ? C’était bien joli, j’ai pourtant fait tout ce qu’il a voulu.



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