Écorché by Maël Aubert

Auteur:Maël Aubert [Maël Aubert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Editions du Panthéon
Publié: 2022-07-21T22:00:00+00:00

Roni

J’avais toujours eu conscience que Roni était quelqu’un de bien, qu’il était né avec la chance d’avoir tout pour lui. Il avait grandi dans une famille normale, ni riche, ni pauvre, dans une petite ville de la Drôme. On oublie souvent, nous, Parisiens, qu’en dehors des grandes agglomérations, des côtes méridionales, des côtes atlantiques et des stations de ski, il reste une France marginale. Ces toutes petites bourgades entre villages et villes qui réunissent les inconvénients de l’un et de l’autre, mais malheureusement aucun de leurs avantages. Ces gens qui savent apprivoiser l’ennui et que nous, sans détour, avec notre arrogance de citadins, appelons des culs-terreux. On les imagine arriérés avec des accents à la con et tous similaires aux tarés que l’on a pu voir dans les émissions comme « Strip-tease », ce programme qui nous rassurait et nous faisait presque du bien lorsque nous contemplions la misère rurale. Même les administrés des villes et des quartiers les plus pourris savouraient la vision d’une misère soi-disant pire que la leur. Les PMU rassembleurs, les tracteurs qui font des bouchons en éjectant la merde de leurs roues jusqu’à nos pare-brise, la campagne loin des représentations idylliques, qui donnent envie de se passer la corde au cou, avec ses brumes d’automne, les jeunes beaufs en marcel moulant l’été, avec leurs gourmettes et leurs caisses tuning dégueulasses en mode contrefaçon Fast and Furious.

Le manque de distractions pousse les gens à tuer le temps avec des occupations qui nous semblent tristes ou sans logique, la chasse, l’agriculture, le manque de style, les repas au restaurant des « voyageurs », agrémentés d’apéro, de trous normands et ponctués par une vieille gnôle, bref des gros clichés et rien qui soit susceptible de mettre la gaule.

Roni venait de là, il traînait avec des ados de son âge, des gamins qui devaient avoir des surnoms aussi ridicules que Beber et Coincoin. Dans ces cambrousses, dans les années quatre-vingt-dix, on se déplaçait en escadrons de mobylettes modifiées avec des pots Ninja, dans un vacarme qui avait pour conséquence une profonde détestation des vieux pour la jeunesse. Roni et ses potes allaient le soir venu s’emmerder un peu du côté d’un terrain de pétanque, ils reprenaient leur mob avec la même assurance et le même entrain que des bikers dans un rassemblement de Harley pour traverser le patelin jusqu’à un terrain de foot. Ils allaient dans le village d’à côté pour y voir les deux plus bonnes meufs du coin, selon des critères assez faiblards. Les filles comme les mecs s’échangeaient, ça passait un mois avec l’une, deux mois avec l’autre, on casse avec son mec pour finir avec son pote et inversement, parce qu’il n’y a pas assez de monde dans les environs pour avoir la chance d’une rencontre fortuite dans son quotidien. Les journées y sont toujours longues, avec le chant déprimant et morne des tourterelles, un cri bizarre qui donne la sensation que le temps passe moins vite encore. Le père de Roni était employé dans

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