A la table du sultan by Michèle Barrière

A la table du sultan by Michèle Barrière

Auteur:Michèle Barrière
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Historique
Éditeur: Jean-Claude Lattès
Publié: 2017-04-15T00:00:00+00:00


15.

Murat le conduisit auprès du maître queux privé du sultan. Quentin comprit immédiatement qu’une autre épreuve l’attendait. L’homme, petit et rondouillard, l’air peu avenant, le salua à peine. S’il prononça des mots de bienvenue, traduits par Murat, le ton qu’il employa montrait qu’il se serait accommodé de le savoir au fond d’une mine de sel ou dévoré par ces crocodiles du Nil que Belon se faisait une joie de découvrir. La cuisine était bien équipée. Une vaste cheminée, un grand évier, des ustensiles rutilants, de grands couteaux apparemment très aiguisés… Murat précisa que, la plupart du temps, les repas étaient livrés par la cuisine centrale qui employait plusieurs centaines de cuisiniers. Soliman était réputé pour sa frugalité, néanmoins la cuisine privée devait à tout moment être en mesure de répondre à un souhait particulier. D’autant plus quand il prenait son repas avec Roxelane. Quentin comprit la mauvaise humeur du cuisinier. Rester en permanence sur le qui-vive avait de quoi mettre les nerfs en pelote. D’autre part, dans ce monde où menaces et arbitraire régnaient en maîtres, voir débarquer un étranger convié par le sultan en personne pouvait signifier que ce dernier n’était pas content de ses performances et qu’il devrait bientôt réintégrer les cuisines communes. Il ne pouvait savoir que le désir le plus cher de Quentin était de quitter les lieux le plus vite possible et de le laisser maître de ses casseroles.

— Le Grand Seigneur souhaite déguster chaque soir une dinde apprêtée par vos soins, ajouta Murat d’un ton solennel. Il mange seul.

— Je croyais que son épouse serait là, s’étonna Quentin.

— Mehmet II le Conquérant a déclaré : « J’ai interdit à quiconque de consommer de la nourriture avec ma noble personne, à moins qu’il ne s’agisse des femmes. » Donc, oui, son épouse sera présente. En ce qui concerne les dindes, elles sont au nombre de neuf. Vous lui servirez donc neuf plats.

Neuf jours ! Une éternité à passer avec ces gens hautement désagréables qui, Quentin en était persuadé, ne manqueraient pas de lui mettre des bâtons dans les roues. Il n’avait pas une minute à perdre. Il avait prévu de préparer la première dinde à la manière du paon ou du cygne revêtu. Personnellement, il trouvait ridicule de présenter les volatiles avec leurs plumes, et de préférence faisant la roue ; mais cela faisait toujours de l’effet sur les convives, et il s’était dit que le sultan n’avait peut-être jamais vu ça. La confection n’était pas simple : il fallait écorcher l’animal sans le plumer en faisant bien attention de ne pas rompre la peau. Une fois rôti, on le recouvrait de sa parure comme s’il était vivant.

Après avoir établi la liste des ingrédients dont il aurait besoin, il demanda à Murat de la traduire au cuisinier. Bien entendu, ce dernier mit la plus extrême mauvaise volonté à les rassembler. Il fit tomber exprès des ustensiles, joua à passer un doigt sur les couteaux effilés et, au grand soulagement de Quentin, disparut. Sans doute avait-il compris que sa présence était inutile.



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