Pleine Lune by Antonio Muñoz Molina

Auteur:Antonio Muñoz Molina [Molina, Antonio Muñoz]
La langue: fra
Format: epub
Tags: policier
Publié: 2015-10-05T14:38:36+00:00

Il l’avait entourée de ses bras pendant qu’elle pleurait, maladroits tous les deux dans la voiture arrêtée près du fossé, en face de la vallée plongée dans une brume de clarté lunaire. Il ne savait pas combien de temps Susana avait pleuré, le visage blotti contre sa poitrine, son souffle et ses larmes mouillant la chemise de l’inspecteur. De temps en temps des phares éclairaient un instant l’intérieur de la voiture, le laissant ensuite dans une obscurité plus profonde, qui recommençait peu à peu à être éclaircie par la lune quand les yeux s’habituaient à nouveau. Il l’entendit renifler et lui offrit un mouchoir de papier. Susana s’écarta de lui et sécha son nez et ses larmes, cherchant à tâtons ses lunettes qui avaient glissé de son visage. Elle lui demanda pardon, dit qu’elle n’aurait pas dû boire tant de vin, qu’elle avait honte de l’importuner.

Mais c’était là une autre espèce de pleurs, pas celle qu’il connaissait depuis tant d’années, et dont il allait sans doute être le témoin quand il parviendrait au couloir et à la chambre où sa femme l’attendait. C’étaient des pleurs convulsés, qui se révoltaient et affirmaient quelque chose, qui avaient poussé Susana à rechercher la protection urgente de ses bras, le simple secours d’un mouchoir de papier et d’une retouche à la bouche et aux yeux, un retour immédiat à l’activité, à des tâches minimes et précises qui rompraient l’inertie de la douleur, la tentation d’éveiller la pitié : nettoyer ses lunettes, démarrer la voiture, mettre à nouveau de la musique. « Tu ne peux pas t’imaginer combien Paul Simon m’a tenu compagnie », dit-elle. À un moment du dîner ils s’étaient mis à se tutoyer.

Lui connaissait d’autres pleurs : ceux qu’on n’entend presque pas, étouffés par un oreiller ou derrière la porte d’une salle de bains aux robinets ouverts, ceux qui duraient avec la monotonie de la pluie du nord et qui semblaient n’avoir ni consolation ni fin, le sanglot sec dans l’obscurité, comme la plainte d’une douleur physique qui ne trouverait ni soulagement ni aide, et qui déjà même ne les recherchait plus.

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