Les Forêts de Waldenstein by Stéphane Héaume

Les Forêts de Waldenstein by Stéphane Héaume

Auteur:Stéphane Héaume [Heaume, Stephane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2024-06-09T12:49:40.978925-04:00 JF
Éditeur: Rivages
Publié: 2024-04-29T22:00:00+00:00


XVII

La lune immense illuminait de son cadran d’argent les plis et les replis des forêts de Waldenstein.

Elle remplissait tout le ciel, formidable cercle de marbre blanc veiné de bleu. Ce n’était pas la nuit, ce n’était ni l’aube ni le crépuscule, mais un voile boréal qui nous enveloppait de son éclat tout-puissant.

Ambrose ouvrait la marche. Par précaution, il avait pris une vieille canne de randonnée : le sol était une mosaïque de plaques de verglas qu’il piquetait pour prévenir toute chute. Malgré son âge, il faisait preuve d’une énergie insoupçonnée. Voûté mais vaillant. Rudi, lui, tenait serrées les lanières de son sac à dos lourd de la sculpture. Je le suivais, tel un dernier de cordée – mais bien armé.

La neige récente (qui avait cessé de tomber depuis notre départ) présentait un redoutable danger car elle ne s’était pas fixée ; elle augmentait le risque de glisser. Nous avancions avec prudence. Quand maman nous emmenait au belvédère, c’était de jour et par grand beau temps. Nous devions retenir les noms gravés sur la table d’orientation : elle posait un doigt au hasard sur le demi-cercle en émail et nous devions répondre aussi vite que possible ; tu étais plus fort que moi à ce jeu et je reste jaloux du nombre de santons que tu as ainsi gagnés au fil des ans : ta crèche de Noël fut toujours plus belle que la mienne.

Ambrose avait-il été amoureux de maman sans jamais le lui avouer ? Cette Femme au banc sculptée tant de fois, avec obstination et régularité, cette ascension, ce rituel annuel au belvédère… Tout le laissait supposer. Encore un sujet qu’il me serait impossible d’aborder avec lui.

Autour de nous, la végétation se faisait plus dense. Ambrose dut s’arrêter à plusieurs reprises pour souffler avant de nous interroger du regard. « On se remet en route ? » Hormis le son étouffé de nos pas, nous étions plongés dans le silence d’un autre monde. Je guettais le moindre bruit, redoutant l’apparition des hommes de Peter Stabber.

Bientôt, une brise glacée nous parvint, mêlée aux parfums du grand large. Le sol commença à s’aplanir. Ambrose ralentit. De part et d’autre, les sapins s’étaient raréfiés ; nos ombres sur la neige, allongées par la clarté de la lune, en dessinaient comme le vivant prolongement.

Nous avions presque atteint le sommet lorsqu’Ambrose se figea. Il se tourna vers nous.

« Stop ! ordonna-t-il en levant la main. N’avancez plus !

— Qu’y a-t-il ?

— Surtout, n’avancez plus. Restez où vous êtes ! »

Son visage s’était décomposé. Avait-il aperçu quelqu’un en embuscade ? Devions-nous fuir ? Dans un réflexe commun, avec Rudi, nous nous accroupîmes. J’extirpai de mon blouson le revolver. Il n’y avait aucun bruit, pas une voix, pas de menace lancée depuis le promontoire que nous ne pouvions voir. Le froid était saisissant. Ambrose finit par faire quelques pas, se déportant vers la gauche. Il marmonnait des paroles inaudibles. On aurait dit qu’il s’était penché, qu’il inspectait tout autour de lui, effaré.

« Venez, fit-il enfin. Venez voir.



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