La voix rauque by Thibaut Solano

Auteur:Thibaut Solano [Solano, Thibaut]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Témoignage
Éditeur: Les Arènes
Publié: 2018-01-14T23:00:00+00:00

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La liste des suspects

Janvier 1983

Au café, on le surnomme « commissaire Maigret ». Albert est un limier qui aurait troqué la pipe pour les gitanes mais qui patauge dans un marigot comparable. Il mène son enquête et, un verre à la main, questionne à tout-va, sur le zinc du comptoir. Il se renseigne sur untel, sur un autre. « Et lui, t’en penses quoi ? » Il voudrait débusquer le type louche derrière la façade proprette, la rancœur camouflée derrière le visage aimable. Mais ce qu’on lui sert, ce sont surtout des ragots, des cancans, des échos de coucheries, réelles ou imaginées. Pas de quoi établir un profil de maître-chanteur. Le problème, c’est que si l’on cherche des failles et des aspérités au quidam, on finit toujours par trouver.

S’il voulait organiser un tapissage à sa sauce, faire défiler des suspects derrière une vitre sans tain, ils seraient trois ou quatre sur la liste. Dites voir, ce « gars »… Ce serait pas Marcel Jacob ? Le beau-frère agressif et sa femme si vulgaire ? Albert sait que la famille de Monique ne l’aime pas. Quand il l’a épousée, les autres connaissaient déjà son histoire, ses origines, la pendaison de son père, et ça jasait. Ils n’ont jamais voulu de lui. Un jour, Marcel a fait mine de lui cracher dessus sous prétexte qu’il ne lui avait pas dit bonjour en le croisant. Albert le considère comme un « profiteur », un type qui passe prendre l’apéro d’une maison à l’autre pour « se faire rincer la gueule ». Par le passé, il l’a déjà accueilli, ils ont regardé la télévision ensemble mais Albert s’est comporté comme chaque fois qu’il est obligé d’ouvrir sa porte à quelqu’un qu’il n’aime pas : il a « fait la gueule », assis sur le canapé, sans décrocher un mot. Les tensions étaient encore plus fortes lorsque le vieux Léon Jacob était de ce monde. Mais il repose au cimetière depuis plus de dix ans et le temps a passé, pense-t-il, sur ces vieilles querelles. Et puis, les braillements criards de la femme de Marcel ne correspondent pas à la voix de jeune femme que tous les auditeurs ont entendue. Et pourtant, leur haine n’a pas fait l’ombre d’un doute, lors de leur altercation devant l’église de Granges. Le couple de cégétistes tendance dure n’aime pas Jean-Marie. Pendant les grèves à la filature, la femme Jacob insulte « les jaunes », ceux qui ne sont pas solidaires ou qui ont peur et qui vont tout de même travailler. Qui plus est, ils habitent Aumontzey, avec vue sur la maison des Villemin. Ça mérite d’être approfondi.

Albert poursuit ses investigations, de l’apéro jusqu’au souper. Son gendre Nonoche, l’époux de Jacqueline, lui a suggéré une autre piste : les Verdu, un couple qui tient un bistrot à Granges. A priori, il n’y a aucune raison pour que ces deux-là s’amusent à lui pourrir la vie, du jour au lendemain. Mais une fois de plus, quand on cherche, on trouve… « Verdu, il est noir », lui glisse l’un de ses beaux-frères au bistrot.

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