Disparitions by Bertrand Schefer

Auteur:Bertrand Schefer [Schefer, Bertrand]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782818021736
Google: qlDNDwAAQBAJ
Éditeur: POL Editeur
Publié: 2020-02-11T23:00:00+00:00

DANGEROUS METHOD

Un petit jeu s’installe vite et assez naturellement : il fait défiler les images sur son écran et je dois deviner de quels films elles sont tirées. Parfois, j’ai l’impression qu’il a lui-même oublié. Il doit se reporter au nom du fichier pour m’éclairer. De mon côté, il m’arrive de tomber juste. Je repère un Losey, Monsieur Klein, à sa lumière sourde et ses couleurs bleu-vert. Mais la plupart du temps il est presque impossible de savoir d’où viennent ces intérieurs surchargés, ces salons bourgeois, rococo, ces mansardes parisiennes, ces chambres à coucher kitsch. Sauf à y avoir passé beaucoup de temps, comme dans le petit salon moderne de Vertigo que l’on retrouve au milieu des autres, la pièce où Scottie attend le réveil de Madeleine devant le feu, la table basse et les coussins. On aperçoit, dans un coin à gauche, la lingerie qui sèche dans la cuisine : la scène d’amour la plus perverse de l’histoire du cinéma, a dit quelqu’un. Mais il n’y a personne dans la pièce. Scottie a disparu, évanoui comme Madeleine. On a effacé toute présence humaine.

Je me dis qu’au fond peu importe d’où viennent ces images et le titre des films. On en parle parce qu’il faut bien dire quelque chose et meubler le silence qu’elles imposent. Il y aurait là d’ailleurs une expression assez juste à laquelle se raccrocher : meubler le silence. Il n’y a plus personne, les voix se sont tues, restent le décor, les tables, les chaises, les canapés, les lits. Une visite muette dans des intérieurs viscontiens, antonioniens, hitchcockiens, tous reconstitués comme on ne les verra jamais, ni dans la réalité du décor détruit et oublié, ni dans le film lui-même où ils n’apparaissent jamais simultanément dépliés et rassemblés dans une seule image, comme ici, mais toujours fragmentés d’un plan à l’autre et habités, joués. Pour les restituer, il lui aura fallu les anamorphoser, les reconstruire, finalement les réinventer. Et, à l’arrivée, ce background, cette toile de fond, cette image panoramique unique qui en contient dix autres, est un décor vide ou plutôt évidé d’où le film s’est absenté.

Et puis autre chose. J’ai voulu lui dire que c’était peut-être la meilleure façon de montrer ce qu’était habiter un film, comme on dit, comme les cinéphiles le savent ou le sentent, depuis tant d’années qu’ils regardent et revoient les films dont non seulement ils sont habités mais qu’ils finissent bel et bien par habiter eux-mêmes avec la même familiarité que les lieux où l’on vit ; c’est ce que j’avais sous les yeux littéralement : un film transformé en appartement, en maison. Mais je ne lui ai rien dit car au même instant autre chose sautait aux yeux : en reconstituant le décor diffracté dans les différents plans, en remaillant la totalité des points de vue existants sur lui, il les rend justement impossibles et inhabitables. Et le premier signe, évident, est qu’il avait fallu faire disparaître les personnages pour rendre possible ce nouveau type d’ameublement.

Et si je

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